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Covid-19 et apres ?

Repenser les temps et lieux de travail – épisode 1

Les opinions contenues dans cet article ne reflètent pas la pensée de Mode d'Emploi, mais uniquement celle de l'auteur.

Publié le par Lorène Do Casal

Introduction

La pandémie de la Covid-19 a bouleversé autant notre organisation de travail que notre représentation des temps et lieux de travail.

Est-il temps de rompre avec l’organisation fordiste du travail qui s’aligne sur le schéma du théâtre classique et sa triple unité de temps, de lieu et d’action ?

À n’en pas douter, reconfigurer nos espaces-temps pourrait présenter de nombreux avantages à l’ère du numérique et de l’économie mondialisée, si on reste vigilant avec l’établissement de garde-fous.

Cette chronique en deux épisodes commencera par traiter de la question du temps de travail, pour aborder, ensuite, la question des lieux de travail.

Repenser les temps de travail

Repenser les horaires de travail

Adapter les horaires de travail est soudainement apparu comme une mesure indispensable pour réussir le déconfinement dans les transports en commun. Il eut été un comble qu’une population déconfinée se retrouve, en même temps, dans des espaces confinés !

Cette initiative prise pour parer le risque de contagion peut être l’occasion d’initier une vaste réflexion sur la flexibilité des horaires de travail en temps de paix épidémique.

Les grèves des transports en réaction à la réforme des retraites avaient déjà commencé à populariser le télétravail comme palliatif à des contraintes de déplacement. Le confinement a rendu incontournable le numérique dans l’arsenal de la continuité de l’activité professionnelle.

Alors que tous les autres termes du contrat de travail sont aujourd’hui individualisés, il est troublant que les horaires de travail restent eux, enchaînés au statut collectif d’une entreprise, homogènes et uniformes. Lisser sur la journée les heures d’arrivées et de sorties du personnel présenterait de nombreux avantages.

En effet, cela permettrait tout d’abord de désengorger les centres-villes en permettant aux individus d’habiter en périphérie et éviter les tensions sur le prix de l’immobilier. Plus éloignés des bassins d’emplois, ces mêmes salariés pourraient arriver plus tard sur leur lieu de travail. Le degré de proximité avec l’entreprise serait la jauge pour déterminer les horaires d’entrées et de sorties, les plus proches arriveraient plus tôt, repartiraient plus tôt et réciproquement.

De même, les parents contraints de déposer leurs enfants à l’école pourraient arriver plus tard, évitant les coûts supplémentaires de frais de garde.

De plus, la modulation des horaires de travail présenterait un intérêt environnemental certain. La fin des embouteillages systématiques aux « heures de pointe » diminuerait la concentration de particules fines dans l’atmosphère, un bon point pour l’écologie.

 L’aménagement des horaires pourrait aussi avoir un intérêt psychosocial. On le sait, l’afflux d’individus dans les transports en commun surchargés génère du stress, de l’anxiété, parfois même de la violence. Avec plus d’espace, on pourrait utiliser ce temps contraint en opportunité pour lire, écouter de la musique ou répondre à ses mails. L’arrivée au bureau se ferait alors dans de meilleures conditions psychologiques.

Ceci sans compter les économies réalisées par les entreprises de transports publics grâce à une réduction des pannes et accidents liés aux flux tendus permanents qui détériorent le matériel plus rapidement. Par ailleurs certaines entreprises, notamment des startups n’ont pas de locaux misant sur le télétravail à la fois comme valeur ajoutée au moment du recrutement, mais comme facteur d’économie (pas de loyer à payer pour des locaux, ni de factures d’eau ou d’électricité, etc).

Désynchroniser les horaires de travail entre les salariés permettrait donc de fluidifier les temps de vie, mais aussi les flux de déplacements.

Cela ne signifie pas pour autant la suppression des plages horaires communes de travail, indispensables pour faciliter la communication et la coordination, leviers de la performance collective.

Metro Paris - Xwilly Azel
Métro Paris – Xwilly Azel

Repenser les durées de travail

Au fondement du droit social, par un passage du travail à la tâche au travail en temps de subordination, la durée du travail a toujours été sujette aux controverses.

Au temps de l’économie ubérisée, de l’intellectualisation des professions et du don d’ubiquité qu’offrent les outils numériques, la durée du travail impérative, commune et uniforme est-elle adéquate ? Peut-on jauger la performance d’un manager à sa durée de travail ? Est-il forcément plus productif en 8h plutôt qu’en 6h ?

En ce sens, X. Baron considère que « plus le travail est intellectuel, communicationnel , relationnel et informationnel, plus le produit de ce travail est immatériel et non mesurable, et plus l’efficience de ce travail et son optimisation sont conditionnés par l’engagement autonome et nécessairement subjectif des capacités cognitives des personnes[1] ».

La multiplication des réformes visant à déroger à la durée légale du travail montre que dans les faits on cherche à renforcer l’agilité des entreprises sans sauter le pas d’une suppression de la durée légale du travail, le symbole politique ayant découragé même les plus téméraires.

Pourtant, la durée du travail ne devrait pas être tabou et pouvoir être modulée selon les spécificités d’un secteur d’activité, d’une conjoncture économique ou même selon les cycles biologiques. En effet, l’économiste P. Perri propose d’adapter les durées de travail selon l’âge des individus où avant 35 ans, on travaillerait plus de 39h, jusqu’à 50 ans, entre 35 et 39h, puis moins de 35 h pour les seniors.

Selon lui, « nous en retirerions un double avantage en stimulant l’emploi des plus âgés et en abondant notre modèle social aujourd’hui menacé[2] ».

La durée du travail doit aussi pouvoir se conjuguer avec un plus large espace laissé à la formation professionnelle encore trop peu usitée par les profils qui en ont le plus besoin. C’est aussi la question des enjeux de conciliation de la vie professionnelle et personnelle que sous-tend la durée du travail.

Repenser l’articulation vie professionnelle VS vie personnelle

La lutte pour un meilleur équilibre temps de travail/ temps de loisir/ temps de repos n’est pas nouvelle. Progressivement, la législation a diminué le temps de travail afin d’assurer la préservation des temps personnels et familiaux.

Seulement, la massification des outils numériques engendre une porosité certaine avec une dilution des frontières entre les espaces-temps. Il est devenu commun pour un salarié de consulter sa page Facebook sur son lieu de travail, comme de ramener un dossier le soir chez lui.

Cette perméabilité des temps présente des risques qu’il faut limiter.

En effet, la surcharge mentale des cadres qui aspirent à monter rapidement l’échelle hiérarchique et n’hésitent pas pour cela, à se dévouer nuit et jour pour leur entreprise afin de prouver qu’ils sont plus investis, plus motivés et plus productifs que leurs collègues, est une réalité. Symboliquement, en ramenant du travail chez soi, on démontre son pouvoir, son importance et son utilité sociale et économique dans l’entreprise.

Dans une société où « la notion du temps de travail n’a plus de sens[3] », les TIC constituent la « laisse électronique » qui essaime le travail dans la sphère personnelle.

Certes, le droit à la déconnexion existe depuis 2017, mais il est déjà désuet. Interdire les mails après 20h et les weekends, envoyer des alertes pour encourager les salariés à ne plus se connecter à leurs réseaux professionnels après 19h ou encore bloquer les serveurs entre 21h et 7 h du matin est louable, mais insuffisant.

Ce n’est pas tant le temps de travail en valeur qu’il faut revoir, mais les objectifs fixés. En effet, ils sont parfois trop exigeants et fixés sur des périodes trop courtes entraînant une charge excessive de travail. Dès lors, ce n’est pas tant la contrainte du dossier terminé après 19h qui pose problème, mais l’intensification du travail qui a empêché le salarié de le terminer pendant son temps de travail habituel.

La déconnexion aux outils numériques et à son travail doit donc se poser individuellement. Il faudrait personnaliser ce droit afin qu’il réponde au mieux aux besoins de chacun selon sa fonction, ses missions, ses objectifs, mais aussi sa personnalité, sa sensibilité, sa vie personnelle et familiale qui sont autant d’aspects primordiaux pour éviter le surmenage et les troubles psychosociaux.

Les représentants du personnel devront également être étroitement associés aux dispositifs mis en place tout comme les services de santé au travail : informer, former, décliner, contrôler, réviser les moyens et outils afin de préserver la santé mentale des salariés, tel doit être le leitmotiv des entreprises.

Conclusion

Ainsi, le temps de travail post-COVID pourrait devenir flexible. Une flexibilité réfléchie et personnalisée grâce à une individualisation des temps de travail qui s’adapte mieux aux rythmes et contraintes personnelles et familiales des individus.

Mais que serait la redéfinition de nos temps de travail si on n’abordait pas dans le même temps son corollaire de bureau : le lieu de travail ?


[1] Xavier BARON, « Repenser l’espace et le temps du travail intellectuel », L’expansion Management Review, mars 2011, n°142, p.100 à 108.

[2] Pascal PERRI, « Repenser le temps de travail en fonction de l’âge », Les Échos, octobre 2019.

[3] Henry ISAAC, « La notion de temps de travail n’a plus de sens dans de nombreux métiers », L’usine Nouvelle, interview Management, octobre 2013.

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