Introduction
La pandémie de la Covid-19 a bouleversé autant notre organisation de travail que notre représentation des temps et lieux de travail.
Est-il temps de rompre avec l’organisation fordiste du travail qui s’aligne sur le schéma du théâtre classique et sa triple unité de temps, de lieu et d’action ?
À n’en pas douter, reconfigurer nos espaces-temps pourrait présenter de nombreux avantages à l’ère du numérique et de l’économie mondialisée, si on reste vigilant avec l’établissement de garde-fous.
Cette chronique en deux épisodes a commencé par traiter de la question du temps de travail, pour aborder, maintenant, la question des lieux de travail.
Repenser les lieux de travail
S’il a été possible du jour au lendemain de passer de 1,8 à 5,1 millions de télétravailleurs au plus fort de la crise sanitaire, cela signifie que cette forme de travail est possible pour de multiples secteurs d’activités et postes de travail.
Malgré des conditions dégradées de travail par l’absence de matériel, l’absence de pièce dédiée, les enfants à domicile, l’enseignement à domicile, le stress lié à l’épidémie, etc, il n’en demeure pas moins que 83% des Français souhaitent poursuivre cette expérience au-delà du contexte sanitaire.
Une aspiration qui pourrait présenter un intérêt certain.
Décentraliser pour diminuer les coûts
Entendons-nous, il n’est pas question ici de considérer que l’entreprise en tant qu’entité physique n’a plus d’avenir.
Toutefois, offrir des alternatives de lieux décentralisés (domicile, espaces de coworking) permettrait de réduire sensiblement les loyers. Grâce à des espaces réduits, l’entreprise pourrait dédier ce coût en moins dans des projets d’investissements productifs, améliorer l’équipement des salariés ou le réinvestir dans les salaires et autres avantages sociaux.
Le salarié y gagnerait aussi avec moins de trajets et une baisse de la facture d’essence, avec des repas faits maison, moins coûteux et plus sains. Il pourrait aussi envisager de s’éloigner des centres-villes pour accéder à des logements plus grands pour un prix moindre.
Les collectivités locales y ont également à gagner en dynamisant de façon harmonieuse plusieurs territoires : en suivant un tel raisonnement, la notion de « cité dortoir »’ n’aurait plus lieu d’être et deviendrait une localité plus vivante.
Décentraliser pour augmenter les gains
Offrir la possibilité aux salariés de travailler à partir de divers lieux augmenterait leur productivité. Richard Florida, Douglas Mcgregor ou encore Peter Drucker ont mis en évidence la corrélation positive entre la multiplication des lieux de travail choisis et l’épanouissement personnel des salariés augmentant la création de valeur et l’innovation.
Pour Newport, le « deep work » identifié comme le temps d’une profonde concentration où l’individu est capable de plus grandes performances intellectuelles, n’est possible que lorsqu’un espace aménagé est dédié à cet effet. L’entreprise serait cet espace convivial où se créer les échanges et les idées, le poste de travail permettrait au salarié de réaliser des tâches superficielles comme répondre à ses emails et le domicile serait l’espace du deep work.
D’ailleurs, l’openspace est souvent décrié pour ses effets délétères sur les conditions de travail. Source de bruit et dépersonnalisé, il entraverait la création de valeur. La solution idoine pour un salarié épanoui naîtrait donc du séquençage des lieux de travail.
D’autant que l’externalisation du salarié hors les murs de l’entreprise pourrait contribuer à la création de richesse pour l’entreprise comme le salarié. On observe cet effet bénéfique à l’échelle des espaces de coworking qui sont fréquentés par des travailleurs de la classe créative aux statuts divers : salariés, auto-entrepreneurs, freelance, etc… Le mélange de cultures, d’expériences, de connaissances, de savoir-faire et être permet non seulement d’enrichir intellectuellement le salarié, développe son réseau professionnel, mais constitue aussi un avantage direct et indirect pour l’entreprise. Le salarié revient avec plus de compétences et de connaissances à son poste de travail. Mais il est aussi plus épanoui donc son engagement sera plus grand et sa productivité également.
Il faut en effet prendre en considération les aspirations nouvelles des travailleurs du savoir, profils recherchés, qui aspirent à de l’autonomie dans la gestion de leurs temps et lieux de travail. Certes, le bien-être des salariés favorise leur performance. Mais c’est aussi parce qu’ils sont performants que leur demande de flexibilité est légitime afin de garantir leur bien-être au travail.
Pour autant, le lieu de l’entreprise conserve sa centralité dans l’organisation du travail.
Décentraliser pour mieux recentrer
Voir dans le télétravail la fin de l’entité physique de l’entreprise est grotesque. Le télétravail doit pouvoir se développer tout en restant occasionnel pour circonscrire ses effets pervers.
Dans une étude réalisée par OpinionWay et publiée le 20 avril dernier, 44% des Français placés en télétravail en raison du COVID-19 ont souffert de « détresse psychologique » et 25% présentaient un risque de dépression nécessitant un traitement.
Le lieu de l’entreprise reste essentiel pour l’individu en tant que premier agent de socialisation à l’âge adulte. À la fois lieu de communication et de coopération, l’entreprise participe à la cohésion qui favorise la synergie. Un sondage pour Odoxa révèle que 73% des télétravailleurs souffrent d’isolement et 57% pensent qu’il diminue le sentiment d’appartenance à l’entreprise.
Ainsi, il faudrait étendre le périmètre du télétravail à plus de secteurs d’activités et de postes de travail, mais réduire son occurrence pour éviter le délitement du lien social et la cohésion d’équipe entre les collaborateurs.
Conclusion
Les espaces-temps sont donc au cœur des enjeux du monde du travail de notre siècle. Empreints de dogmes, ils mériteraient d’être dépolitisés pour offrir des opportunités nouvelles aux entreprises et salariés par plus d’agilité face aux turbulences du marché.
Un article de Lorène Do Casal