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L’APC : opportunités et dangers

Les opinions contenues dans cet article ne reflètent pas la pensée de Mode d'Emploi, mais uniquement celle de l'auteur.

Publié le par Lorène Do Casal

Après la crise sanitaire, la crise économique fait son entrée.

Pour éviter « l’effondrement » du pays redouté par l’ancien 1er Ministre, les dispositifs visant à préserver le tissu économique et les emplois pullulent.

Parmi eux, figure l’Accord de Performance Collective (APC). Un dispositif né des Ordonnances Macron relatives au dialogue social de 2017 qui semble être plébiscité par les décideurs économiques.

Cet accord permet aux entreprises de pouvoir modifier la rémunération, la durée du travail et la mobilité géographique et fonctionnelle des salariés afin de répondre aux « nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise » ou alors en vue de préserver ou développer l’emploi.

Sa particularité ? La souplesse et la liberté qu’il offre aux négociateurs. S’il peut sembler source d’opportunités, n’est-il pas aussi vecteur de dangers ?

L’APC : un accord opportun ?

L’APC, un remède au Plan de Sauvegarde de l’Emploi

Contrairement au plan de sauvegarde de l’empli (PSE), l’APC ne prévoit pas de licenciements. Son objectif est de préserver ou développer l’emploi avec pour conséquence de le flexibiliser. Son intérêt est majeur pour les employeurs qui éviteront ainsi les procédures formelles et complexes exigées dans un PSE, tout en conservant leur main d’œuvre.

Or, conserver sa force de travail en ces temps incertains offrira un avantage concurrentiel aux entreprises qui auront conservé leurs talents en interne.

D’autant que le PSE permet certes, un accompagnement externe des salariés, mais ces derniers restent privés de travail sur un marché de l’emploi où la demande est plus forte que l’offre des entreprises. Évincés de l’entreprise, les salariés risqueront de perdre en employabilité, ce que permet d’éviter le recours à l’APC. 

L’APC, un outil agile

L’APC est aussi l’outil le plus disruptif par rapport aux dogmes du droit social qui s’est construit sur le principe de faveur et l’intangibilité du contrat de travail. L’APC chamboule ce postulat.

En effet, avec l’APC, tout est permis ou presque. Une liberté qui s’observe par la seule clause obligatoire exigée par le législateur qui est celle du préambule servant à justifier et fixer les objectifs de l’accord. Une clause qui d’ailleurs, si elle fait défaut, n’entraîne pas pour autant la nullité de l’accord.

Ensuite, les négociateurs sont libres de définir les clauses qu’ils souhaitent insérer ou pas. La seule limite étant de respecter les rémunérations minimums conventionnelles.

Pouvoir librement modifier le contrat de travail dans des matières comme la durée du travail, la rémunération ou la mobilité des salariés, offre aux entreprises des leviers idoines pour affronter la crise économique en diminuant le coût du travail tout en préservant l’emploi.

Pour les syndicats, la signature d’un tel accord fait peser sur eux une forte responsabilité qui peut être l’occasion pour eux de reprendre le pouvoir. Les employeurs devront prévoir des contreparties s’ils souhaitent obtenir la signature d’au moins 50% des organisations syndicales représentatives.

Les délégués syndicaux devront se montrer innovants dans leurs exigences de contreparties afin d’embrasser les défis de notre temps que ce soit en termes de protection sociale, de formation, de développement d’activités et d’investissements écologiques.

Leur signature ne devra pas être un blanc-seing. Ils devront exiger des rendez-vous réguliers de suivi de l’accord avec des clauses de revoyure pour adapter les mesures à la situation économique et financière de l’entreprise en temps réel.

L’APC, un vecteur d’opportunités 

À l’image de Danone qui devient la 1ère « entreprise à mission » du CAC 40, les entreprises pourront se saisir de l’APC pour reconstituer leurs forces et ainsi avoir les ressorts suffisants pour aborder les défis sociaux, sociétaux et environnementaux.

En effet, même si c’est au travers de clauses pénales, dans laquelle l’employeur s’engage à payer une somme d’argent en cas de non-respect de ses propres engagements, l’APC doit marquer la volonté de l’entreprise de changer de paradigme où la recherche du profit n’est plus son unique but.

L’occasion de revoir l’objet social de l’entreprise en adoptant une démarche plus inclusive des intérêts de salariés et de l’environnement facilitera l’acceptation par les salariés des efforts consentis. 

Pour fédérer la collectivité de travail vers un objectif commun, il va de soi que les dirigeants devront eux aussi accepter des baisses de salaires et/ou suppression des dividendes.

Toutefois, si l’APC présente des opportunités, il est également source de dangers.

L’APC : un accord dangereux ?

L’APC , un outil de baisse des droits

Si la liberté du contenu de l’APC permet de libérer les énergies pour adapter au plus près les mesures aux nécessités spécifiques de l’entreprise, son pendant est l’absence ou le peu de garanties protectrices des salariés. À tel point qu’il est parfois mieux d’avoir un bon PSE qu’un mauvais APC.

En effet, si des contreparties aux efforts demandés aux salariés sont possibles dans un APC, elles ne sont ni définies, ni obligatoires, ni garanties. D’ailleurs, l’APC qui a été créé pour éviter les licenciements secs peut être détourné de son objet et permettre, à moindres frais, de licencier collectivement les salariés sans supporter les contraintes du PSE.

D’autant que les salariés risquent de se retrouver fort dépourvus quand ils constateront que leur licenciement, consécutif à leur refus d’appliquer l’accord à leur contrat de travail, est incontestable grâce au motif sui generis qui le dote d’une cause réelle et sérieuse automatique.

L’APC, un instrument aux effets incertains

Par ailleurs, la nouveauté et la liberté qu’offre l’APC génèrent une insécurité juridique.

En effet, l’accord, dont les clauses se substituent de plein droit à toute clause contraire du contrat de travail, peut aussi bien être à durée déterminée qu’à durée indéterminée.

Ainsi se pose la question du devenir des clauses du contrat de travail qui sont contraires aux stipulations de l’accord. Sont-elles simplement suspendues ou sont-elles modifiées ?

Un début de solution semble être apporté par le Question/Réponse du Gouvernement qui précise qu’il s’agit d’une simple suspension, mais il ne s’agit pas d’une source juridique contraignante.

Cela posera de véritables difficultés pratiques quand il s’agira de connaître l’effet d’une dénonciation de l’accord sur les clauses du contrat de travail. Dénoncé, l’accord cesse de produire effet.

Mais si les clauses du contrat de travail ont été modifiées et non pas suspendues, que faire des clauses du contrat, nées de l’accord, mais qui n’ont pas nécessité d’avenants pour être applicables ?

On pourrait résoudre cette difficulté en considérant que la substitution est révocable et que les clauses du contrat ne sont en fait que suspendues pendant l’application de l’accord, mais ce sera alors au mépris des textes légaux.

Et puis, cela ne résoudra pas le problème de savoir comment faire si depuis la mutation du salarié par exemple, son lieu de travail initial a disparu…

APC – Photo de energepic.com provenant de Pexels

L’APC, un vivier à inégalités

Les risques que présente l’APC s’observent également au regard des inégalités qu’il peut générer. On sait que le refus du salarié de se voir appliquer l’accord est un droit. L’employeur peut alors décider de le licencier ou pas. S’il ne le licencie pas, le contrat de travail reste inchangé.

Mais alors, une situation inédite risque d’émerger avec des salariés qui, par crainte de perdre leur emploi, auront accepté l’accord contrairement à d’autres qui pourront continuer à travailler selon les anciennes modalités.

Ainsi, deux salariés aux mêmes postes pour une même ancienneté et une même qualification pourront être rémunérés différemment. Le principe cardinal du droit social « à travail égal, salaire égal » risque de voler en éclat.

De plus, des pratiques discriminatoires peuvent aussi émerger. L’employeur à la faculté et non l’obligation de licencier un salarié qui aurait refusé de se voir appliquer l’APC.

Seulement, qu’est-ce qui garantit que l’employeur qui licenciera un salarié et pas un autre, sera fait de manière totalement objective, exempte de toute discrimination à raison de son âge, son sexe ou encore son appartenance syndicale ?

Un danger d’autant plus prégnant que le contrôle des juges est limité par le motif légitime préconstitué du licenciement.

Prudence étant mère de sûreté, l’APC devra donc être scrupuleusement rédigé afin de réduire les risques de dérives que suppute la liberté de son contenu.

D’autres alternatives mériteraient d’être davantage mises en avant comme l’accord de GPEPP (ex GPEC) ou le prêt de main d’œuvre qui reste peu connu alors qu’il recèle des opportunités pour la société prêteuse (baisse des coûts), la société utilisatrice (nouvelles compétences) et le salarié (expériences nouvelles).


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