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Bore-out, quand l’ennui devient l’ennemi

Les opinions contenues dans cet article ne reflètent pas la pensée de Mode d'Emploi, mais uniquement celle de l'auteur.

Publié le par Lorène Do Casal

Le Burn-out, le Bore-out et le Travail

Le travail, cette « activité providentielle » selon Kant constituait le « remède à l’ennui » pour Voltaire.

Alors comment le travail a-t-il pu être remède pour ensuite devenir pourvoyeur d’ennui ?

Le Burn-out : l’épuisement professionnel

Le burn-out est un syndrome connu d’épuisement professionnel causé par une surcharge de travail. Mais depuis plusieurs années sont apparus deux autres phénomènes de souffrance au travail : le brown-out et le bore-out[1], ce dernier faisant l’objet du présent article.

Brown-out et bore-out : la perte de sens

La distinction entre le brown-out et le bore-out est tenue de prime abord car tous deux révèlent la perte de sens de son travail. Mais le brown-out se réfère à l’absence de finalité sociale et sociétale de son travail : les bullshit jobs.

Alors que le bore-out dépeint le sentiment d’un profond mal-être au travail par sa substance intrinsèque, il est vidé d’intérêt psychique provoquant un ennui sévère.

L’Agence d’Interim QAPA a révélé dans une étude que 63% des français déclarent souffrir  de bore-out. On observe qu’il est plus répandu chez les femmes et surtout qu’il est peu exprimé, il se subit en silence.

L'ennui au travail en 2013 et 2016
Autonomie dans le travail – Dares Avril 2019

Bore-out, un mal-être aux raisons polymorphes

Un contexte professionnel délétère

L’une des premières causes du bore-out est celle induite par les relations professionnelles délétères qu’entretient le salarié avec ses supérieurs hiérarchiques.

En effet, en cas de relations professionnelles conflictuelles, certains responsables hiérarchiques sont tentés de recourir à des moyens pernicieux d’éviction endogène de l’individu dans son travail.

L’objectif est de pousser le salarié à démissionner à défaut de pouvoir le licencier sans motif valable, avec paiement d’indemnités de licenciement.

Le collaborateur est ainsi progressivement dépossédé de son travail.

La dépossession peut être environnementale avec un déménagement du poste du salarié dans une zone où il y a moins de passages, moins de collègues, moins de moyens pour créer du lien social. En somme, par cette éviction de sa communauté de travail, le salarié est victime d’une placardisation.

La dépossession est aussi matérielle avec une baisse des missions confiées, qui seront de surcroît peu rythmées, dénuées d’intérêt et répétitives. On déresponsabilise l’individu afin qu’il ait le sentiment de perdre son utilité professionnelle.

Cette pratique perverse peut provoquer d’importants dégâts dans l’identité professionnelle de l’individu souvent fusionnée avec son identité personnelle. Le statut professionnel est en effet au cœur de notre vie personnelle. Ne commence-t-on pas nos rencontres par la phrase « Que faites-vous dans la vie » ?

Ainsi, l’individu par cette éviction interne va perdre le sens et l’intérêt de son travail, à un point tel qu’une souffrance psychologique survient et génère un syndrome dépressif sévère : le bore-out.

Un contexte économique précaire

Le bore out est aussi favorisé par la conjoncture économique et ses effets sur le marché du travail.

En effet, depuis que le chômage de masse est apparu en France, les Pouvoirs Publics n’ont cessé d’imaginer des moyens pour l’endiguer. L’un d’entre eux a été la parcellisation du travail afin d’en redonner aux chômeurs.

La parcellisation a été quantitative avec l’instauration des 35 heures : faire travailler moins longtemps mais plus de gens.

Mais la parcellisation a aussi été qualitative avec un émiettement des tâches. Chaque poste de travail s’est appauvri afin d’en répartir les tâches entre plusieurs. La bureaucratie s’est progressivement installée dans les entreprises avec ses effets toxiques.

Ces politiques d’emploi auraient pu être louables intellectuellement, mais force est de constater que les résultats n’ont pas été au rendez-vous. Déjà parce que le chômage n’a pas été endigué, mais surtout parce que la division du travail a engendré pour nombre de salariés un désintérêt et une perte de sens de leur métier.

Comme avec l’organisation scientifique du travail conceptualisée par Taylor et appliquée massivement par Ford, l’allongement de la chaîne  de valeur conduit nécessairement à faire des tâches répétitives, peu rythmées, sans vision sur la réalisation totale du produit fabriqué ou du service rendu. Ainsi, de nombreux travailleurs se retrouvent avec cette «  maladie honteuse d’un Occident où il n’y a plus assez de travail pour occuper les salariés, même talentueux, pendant leur temps de travail[2] ».

La fracture générationnelle ?

L’appartenance générationnelle est aussi intéressante pour comprendre le phénomène de bore-out. En effet, le travail n’est pas appréhendé de la même manière par une partie de la jeune génération en comparaison de celle de leurs aînés. Une certaine dualité de culture dans l’organisation du travail peut alors émergée.

Les dirigeants vont avoir une vision davantage traditionnelle du travail caractérisée par l’unité de temps, de lieu et d’action. La jeune génération au contraire, au gré de la généralisation des NTIC[3] sera elle, plus ouverte à la flexibilité de temps, de lieux et d’actions.

Or, lorsque pour des raisons de contraintes économiques, la jeune génération se retrouve à occuper un emploi qui ne lui permet pas cette flexibilité, une frustration peut apparaître et l’individu va se désengager de son travail parce qu’il ne lui correspond pas.

Dans l’attente d’un emploi en symbiose avec leurs aspirations, ces jeunes pousses vont se contenter d’un « présentéisme » tel que décrit par Paulsen où « la plupart des personnes ne font que vendre leur temps de présence à l’entreprise » sans investissement de leur personne[4].

L’indispensable intervention législative ?

L’enjeu est donc crucial mais, l’identification malaisée de ce mal professionnel n’encourage pas à sa reconnaissance juridique. Ainsi, l’atonie des pouvoirs publics au sujet du bore-out ne surprend pas, même si elle inquiète.

Pourtant, il est urgent et indispensable de concevoir un corpus juridique permettant d’identifier, d’analyser et de répondre à ce trouble psychique afin d’endiguer ce syndrome dépressif causé par l’ennui au travail.

Se contenter de l’obligation légale de l’employeur de préserver la santé et la sécurité de ses salariés n’est pas suffisante pour appréhender ces nouvelles formes de troubles psychosociaux malléables et donc souvent insaisissables.

Inciter les employeurs à adopter des techniques concrètes de développement du bien-être au travail, reconnaître le bore-out comme maladie professionnelle et alléger la charge de la preuve du salarié afin de prouver la responsabilité et la culpabilité de leur employeur en pareil espèce pourraient permettre une meilleure identification de ces maux psychiques dont les externalités négatives sont foisons : baisse de la productivité, turn-over, absentéisme, visites médicales spontanées, inaptitudes, qualité du dialogue social médiocre, etc.

Alors qu’Oscar Wilde nous avait dit : « il n’est qu’une chose horrible en ce monde, un seul péché irrémissible, l’ennui[5] », nous l’avons laissé courir, il est désormais temps de stopper sa course.

L'ennui au travail en 2013 et 2016
L’ennui au travail en 2013 et 2016
Autonomie dans le travail – Dares Avril 2019

[1] Expression anglaise qui vient du nom anglais « boredom » et se traduit par « ennui » en français.

[2] C. Bourion et S. Trebucq, « Le bore-out-syndrom », Revue internationale de psychosociologie,  Vol. XVII, no 41, 11 avril 2011, p. 319‑346

[3] Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.

[4] R. Paulsen, Empty Labor : Idleness and Workplace Resistance, Cambridge University Press, 2014.

[5] O. Wilde, Le portrait de Dorian Gray, 1891, 253 pages.

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