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La branche professionnelle en danger ? – épisode 2

Les opinions contenues dans cet article ne reflètent pas la pensée de Mode d'Emploi, mais uniquement celle de l'auteur.

Publié le par Lorène Do Casal

La négociation collective de branche fut jadis le cadre de référence du dialogue social et le socle des droits sociaux communs aux salariés d’un même secteur d’activité répondant à un objectif de régulation de l’économie afin d’éviter le dumping social

Depuis 1982 et les lois Auroux le dialogue social est traversé par un vent de décentralisation au moyen de mécanismes de dérogation et de supplétivité tendant à affaiblir le pouvoir contraignant de la branche professionnelle. On priorise la négociation d’entreprise et on exige une restructuration de la branche professionnelle.

Dès lors, la négociation collective de branche est-elle menacée ?

L’épisode 1 de cette chronique est disponible ici

Une transfiguration de la branche professionnelle

Le paysage conventionnel français est composé de 900 branches dont 687 hors secteur agricole pour une couverture de 96 à 98% des salariés. Cet éclatement du tissu conventionnel est la cause de l’enclenchement d’un processus législatif de restructuration des branches professionnelles. Le rapport DE VIRVILLE sur lequel s’est appuyé le législateur a fixé le cap : fusionner des branches professionnelles pour aboutir à 100 branches en fin de restructuration.

La restructuration des branches n’est pas un sujet nouveau, a titre d’exemple nous pouvons citer :

Un projet de rapport, dit rapport RAMAIN du nom de son rédacteur, rendu en janvier 2020, expose ce que pourrait être un paysage conventionnel à 100 branches.

Le législateur justifie cette restructuration des branches professionnelles par l’amélioration attendue de l’efficacité du dialogue sociale raison de la concentration des moyens, compétences et pouvoirs par des organisations moins nombreuses mais plus puissantes. Une telle promesse devrait séduire les partenaires sociaux. Pourtant, l’inverse se produit. Alors pourquoi ?

Les règles du jeu

Pour comprendre les enjeux de la restructuration, il convient au préalable d’expliquer comment elle devra s’opérer.

La décision de fusion et les négociations qui suivront auront pour objet de définir les dispositions de la nouvelle branche de rattachement. Les négociations pourront se faire dans un délai de 5 ans maximum que ce soit par fusion volontaire ou contraignante.

La décision de fusion doit être motivée par 7 critères alternatifs dont 1 a fait l’objet d’une censure par le Conseil Constitutionnel.

Ces critères sont les suivants :

  • La branche compte moins de 5000 salariés ;
  • L’activité conventionnelle de la branche est faible ;
  • Le champ d’application géographique de la branche n’est que régional ou local ;
  • La faiblesse des adhérents à une organisation représentative des employeurs de la branche ;
  • L’absence de mise en place ou de réunion de la CPPNI ;
  • L’insuffisance des politiques menées en termes de formation professionnelle et d’apprentissage ;
  • L’absence de cohérence du champ d’application des conventions collectives de la branche.

Si la fusion est volontaire, les partenaires sociaux doivent définir le nouveau champ conventionnel et négocier les détails des stipulations. À l’issu du délai de 5 ans, une nouvelle convention collective est élaborée. Si ce n’est pas le cas, la convention collective de branche définie par les partenaires sociaux comme étant la convention collective d’accueil s’appliquera.

Si la fusion est administrative, soit les partenaires sociaux parviennent au bout des 5 années à élaborer une nouvelle convention collective qui s’appliquera, soit c’est la convention collective de rattachement définie par l’administration qui trouvera à s’appliquer à l’ensemble des salariés se trouvant dans son nouveau champ élargi.

Ces critères sont-ils de nature à répondre à l’objectif d’efficacité du dialogue social ?

Des critères de fusion potentiellement inopportuns

Les critères justifiant une fusion entre plusieurs branches professionnelles apparaissent pertinents s’ils sont appréhendés dans une démarche globale d’appréciation. Seulement, le législateur a prévu qu’ils soient alternatifs donc un seul critère peut justifier une décision de fusion. Le risque est d’aboutir à un regroupement de branches qui soit inopportun car fondé sur une appréciation parcellaire de leurs spécificités.

Par exemple, le critère du faible nombre de salariés couverts par une branche professionnelle ne témoigne pas nécessairement d’une faible activité conventionnelle. Au contraire, cela peut même correspondre à un secteur qui présente d’importantes spécificités, des secteurs de niche comme peuvent l’être l’économie sociale et solidaire, les casinos ou encore la culture. Fondre ces secteurs aux particularités et besoins singuliers dans une grande branche nuirait à la qualité du dialogue social qui ne serait plus capable d’offrir les garanties et protections particulières que nécessitent ces secteurs.

De même, engager un processus de fusion au prétexte de l’absence de mise en place ou de réunion de la CPPNI [1] présente un intérêt relatif puisqu’il suffira qu’une branche s’en dote d’une pour éviter une fusion. Il faudrait adjoindre à ce critère, l’engagement de mener des négociations actives au sein de cette commission afin qu’elle soit un véritable appui des entreprises en termes d’emploi et de travail, pour que ce critère devienne pertinent.

Par ailleurs, le périmètre géographique ne saurait être un déterminant unique d’une décision de fusion si on veut éviter une centralisation mortifère des branches qui ferait fi des spécificités régionales et locales motivées par des contraintes environnementales, culturelles et sociales topiques. La pertinence de ce critère se jaugera au pragmatisme qu’on lui appliquera.

Enfin, le critère le plus sensible est certainement celui de l’absence de cohérence du champ d’application. Ce critère aux termes abscons laisse entrevoir un risque d’indétermination du motif de fusion. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel ne s’est pas trompé en censurant ce critère considérant qu’il laissait à l’autorité ministérielle une latitude excessive dans l’appréciation des motifs justifiant la fusion, affectant ainsi la liberté contractuelle.

 Ainsi, les critères de fusion, s’ils sont alternatifs, devront être appréhendés dans leur globalité si l’on veut éviter des rattachements de branches inappropriés qui évincent les divers besoins du tissu économique et social propre aux entreprises d’un même secteur d’activité.

Des mandats difficiles à défendre

La fusion des branches implique nécessairement de faire cohabiter sous une même égide, un plus grand nombre d’entreprises qui hier obéissaient à des dispositions différentes mais aussi à des intérêts distincts.

Or, une entreprise qui adhère à une organisation patronale lui donne mandat pour qu’elle défende ses intérêts. Dès lors, qu’en sera-t-il lorsque cette organisation se verra investir de mandats d’entreprises qui ont des intérêts différents, voire divergents ?

En effet, le mandat confié par les entreprises, quel que soit leur taille, à une organisation patronale représentative, est de même valeur. Pourtant cette dernière devra faire des choix, qui certes conviendront au plus petit dénominateur commun des entreprises adhérentes mais difficilement à toutes alors même qu’elles ont donné mandat. Leurs intérêts n’auront donc finalement pas été défendus. L’organisation patronale n’aura d’autre choix que prendre des décisions sur la base d’un consensus majoritaire et non unanime. Si cet écueil peut passer lorsque le nombre d’entreprises adhérentes est modeste, il devient nettement plus sensible lorsqu’elles sont nombreuses.

La solution pour l’organisation patronale qui ne souhaite pas voir une désaffection d’une partie de ses adhérents venir, pourrait être tentée de ne pas signer l’accord mais d’opter pour des recommandations. Seulement un autre obstacle majeur émerge en raison de l’absence de force contraignante des recommandations. Elles seront vraisemblablement appliquées par les entreprises adhérentes mais certainement pas par les entreprises non adhérentes qui ne voudront pas supporter le coût social des avantages en cause. Une distorsion de concurrence pourrait alors advenir entre des entreprises qui relèvent d’un même secteur d’activité post-fusion. Le rôle de la branche en tant que catalyseur des concurrences internes et loi de la profession serait dès lors, mis à mal.

Une branche pour des situations

Le regroupement de plusieurs branches pour les fondre en une seule n’efface pas l’hétérogénéité des structures qui composent la nouvelle branche. Ces disparités risquent de s’amplifier par la multiplication du nombre d’entreprises adhérentes à une même branche. Comment répondre aux besoins des TPE lorsque la branche est dominée par des multinationales ? Comment offrir toutes les mesures de flexibilité indispensables au développement des start-up tout en veillant à renforcer les protections des entreprises en situation de redressement judiciaire ?

Autant de situations diverses ou divergentes qu’il faudra concilier dans les négociations. À voir le très faible nombre d’accords-types négociés par les branches pour répondre aux spécificités des TPE/PME laisse présager un nombre important d’entreprises laisser pour compte.

Quant aux salariés, les dispositions conventionnelles perdront de leur intérêt pratique car vouées à répondre à des enjeux plus globaux, plus éloignées de leur quotidien. Le risque étant la fissure dans l’homogénéité du corps social et la perte de l’identité de métier.

Concentration du paysage syndical

Enfin, la restructuration des branches présente aussi un enjeu politique fort.

Le regroupement de branches professionnelles implique une concentration des partenaires sociaux. Les petites organisations professionnelles ne survivront qu’au travers d’un jeu d’alliances si elles n’ont pas été absorbées par les plus grosses d’entre elles, à défaut de pouvoir atteindre le seuil fatidique des 8% de représentativité.

On retrouve ce même phénomène dans les fédérations où les petites d’hier viendront concurrencer les grosses fédérations d’aujourd’hui. Un chamboulement qui inquiète sérieusement ces dernières, pas prêtes à partager le gâteau.  

Le fait d’avoir moins d’acteurs autour de la table favorisera la fluidité du dialogue social mais au prix du pluralisme syndical.

Donc, si les branches professionnelles seront demain plus fortes financièrement, juridiquement et politiquement, la scission avec les bases risque d’encourager les entreprises à se doter elles-mêmes en accords collectifs d’entreprise qui, on l’a vu, pourront déroger aux dispositions de branche dans de nombreux domaines de négociation et ainsi rompre avec l’esprit d’équité des règles entre entreprises d’une même branche.

Conclusion

Les dernières réformes en droit social ont cherché à faire de la négociation d’entreprise la clé de voûte du dialogue social. Face à cela, la branche est investie d’un autre rôle dont on peine à en voir les contours tant la restructuration implique des changements de paradigmes qui inquiètent et interrogent. Si le rôle de la négociation collective de branche est bousculé, il n’en demeure pas moins que des perspectives nouvelles peuvent lui être ouvertes. Pour cela, il faudra qu’elle se réinvente en démontrant sa capacité de résilience.

Si vous souhaitez en savoir plus, nous vous recommandons la lecture cet article


[1] Commission Paritaire Permanente de Négociation et d’Interprétation

© Photos : ©FO – La Délégation FO reçue par le gouvernement dans le cadre du projet de loi dit « El Khomri » réformant le dialogue social

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