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Le droit social victime de la Covid-19 ?

Les opinions contenues dans cet article ne reflètent pas la pensée de Mode d'Emploi, mais uniquement celle de l'auteur.

Publié le par Lorène Do Casal

Voilà bientôt un an que la Covid-19 a bouleversé nos quotidiens. Ses victimes sont nombreuses :

Humaines évidemment, économiques ensuite avec des commerces fermés et des secteurs d’activités sinistrés.
Politiques aussi avec une défiance et une décrédibilisation de la parole publique.

Mais peut-on en dire autant de la matière juridique et particulièrement du Droit Social ?

Le moins que l’on puisse dire c’est que le droit social n’a pas été confiné. Pas confiné d’accord, mais la pléthore de textes visant à l’adapter, le modifier, l’étendre ou au contraire le circonscrire l’ont nécessairement déstabilisé.

En sort-il perdant ? Rien n’est moins sûr…

Le virus des textes

Le Professeur J.-E Ray nous l’avait dit, le droit social est un « droit vivant ». Parce qu’il régit les relations individuelles et collectives de travail, le droit social se meut dans la complexité des rapports humains.
Parce que le travail a une valeur identitaire, chaque nouveau Gouvernement veut faire sa réforme pour marquer son empreinte.

Mais cette année fut exceptionnelle, que de textes parus !

Une inflation législative qui apportera de l’eau au moulin des détracteurs d’un droit social jugé inadapté, trop dense, trop complexe et versatile empêchant sa compréhension et son appropriation par ses destinataires que sont les employeurs et salariés. Ils ont été servis cette année…

Des textes habituels…

Tout commence par la loi d’habilitation du 23 mars 2020 qui a autorisé le gouvernement à agir par ordonnances pour aménager le droit social.

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le Gouvernement commençait alors à produire des ordonnances pour régir des domaines aussi vastes que le complément employeur des IJSS, les congés payés, RTT et jours de repos ou encore l’activité partielle.

À côté des ordonnances, de nombreux décrets ont été pris se prononçant sur des questions non moins capitales telles que l’aménagement des missions des services de santé au travail, l’adaptation des modalités de négociation par visio ou audioconférence voire même messagerie électronique ou encore de nombreux décrets visant à adapter le dispositif d’activité partielle.

Cette période d’urgence a favorisé le recours à la négociation collective afin de s’adapter aux spécificités de chaque structure. Il est toutefois difficile de concilier le temps de la négociation avec la nécessité d’une prise de décision rapide pendant la pandémie. 

Les textes coutumiers des travaillistes ont donc foisonné cette année. Mais à côté de ces textes, sont apparus des sources de droit inhabituelles, voire incongrues, au point de faire s’étouffer les plus rigoristes des juristes !

D’autres textes plus surprenants !

Dès la fin mars apparaissait un Questions/Réponses spéciale « Covid-19 » classé par thèmes allant du télétravail, à l’activité partielle en passant par la formation professionnelle sur le site du Ministère du Travail.

Ont ensuite poussé comme des champignons des guides et fiches métiers. Conçus par le Ministère du Travail avec le concours des services de santé et des partenaires sociaux. Leur but était de délivrer, clé en main et pour chaque secteur d’activité un vade-mecum des bonnes pratiques sanitaires.

Sont ensuite apparus le Protocole de déconfinement et plus récemment le Protocole national sanitaire.

Le protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés

Toutes ces sources nouvelles et protéiformes mettent en évidence qu’un droit du travail, conçu en temps de paix (épidémique) est inadapté pour parer des situations d’urgence sanitaire.

Ces formes alternatives de textes obligent à s’interroger sur la nécessité et la pertinence de créer un Droit Social de l’Urgence.

Ces alternatives posent la question de leur intégration avec les sources usuelles du droit, car dépourvues de valeur juridique à proprement parler.

Leur rédaction tantôt prescriptive tantôt « recommandatoire » trouble leur maniement par les entreprises qui ne comprennent pas la portée de ces nouveaux textes.

Ces nouveaux textes sont-ils des injonctions ou de simples incitations ?

Un droit qui en perd son latin

L’illisibilité juridique

Quand plusieurs dizaines de textes venant de nulle part et de partout touchent des domaines aussi divers que variés, avec des sources protéiformes et de valeurs juridiques inégales, il y a de quoi en perdre son latin ! La conséquence directe est l’illisibilité du droit et donc son incompréhension.

Il y a peu, le télétravail illustrait cette cacophonie. Est-il obligatoire ?

  • Oui ! Si l’on se fie aux dires de la Ministre du Travail ;
  • Certainement ! Si on lit le Protocole national sanitaire.
  • Non ! Si l’on s’en tient à la lettre du Code du travail. 

Comment s’y retrouver ?…

Seule certitude, l’employeur a l’obligation de préserver la santé de ses salariés en agissant préventivement.

Alors, dilemme. Faut-il recourir au télétravail 5j/5 pour éviter tout risque de contagion susceptible de porter atteinte à la santé physique des salariés ? Ou organiser un panachage domicile/bureau afin d’éviter les risques d’isolement et de dépression susceptibles de nuire à leur santé mentale ?

Télétravail : les patrons jouent-ils vraiment le jeu ? | Ça Vous Regarde – 28/10/2020

Au travers de cet exemple, on touche du doigt la tension générée par la profusion de normes plurielles.

Le Protocole n’est pas source de droits. Au mieux, il les décline. Pour autant, grâce à une campagne de communication effrénée, le Gouvernement a pu laisser entendre que tous les textes se valaient.

Une position dangereuse qui peut se révéler mortifère pour des employeurs, qui peu coutumiers des hiérarchies des normes, peuvent se fier à des textes incitatifs au détriment de textes obligatoires et se retrouver accusés de ne pas avoir respecté la loi devant les Tribunaux des années plus tard.

Ils répondront de bonne fois qu’ils ont appliqué le protocole sanitaire, les juges argumenteront qu’ils n’ont pas respecté la Loi.

Le respect des recommandations des Protocoles n’exonère pas les employeurs de leur responsabilité légale si aucune stratégie globale de prévention n’est pas mise en place.  La lenteur de la justice aidant, on peut craindre que des décisions jugées pertinentes dans l’urgence ne soient plus considérées comme légitimes des années plus tard.

L’insécurité juridique

L’illisibilité du droit s’accompagne aussi d’une confusion des règles applicables. Construire un régime juridique dans l’urgence, au fil de l’eau génère des erreurs et rétropédalages qui brouillent encore davantage le cadre juridique.

Prenons par exemple la détermination de l’assiette des indemnités d’activité partielle avec l’inclusion des heures supplémentaires. D’abord exclues dans les premiers textes, elles ont finalement été intégrées dans l’assiette ensuite et ce, au prix d’une correction tardive avec nécessaire rétroactivité. Les gestionnaires payes ont dû se tirer les cheveux plus d’une fois !

Mais quand la parole contredit les faits, c’est encore pire. Dans un contexte où les Français étaient confinés et donc alertes aux messages spécifiquement télévisuels, ils ont assisté au véritable gloubi boulga concernant la Prime PEPA.

À écouter le Ministre de l’Economie, elle était présentée comme une véritable Prime de risque parce qu’accordée aux « héros sur le front » de l’épidémie.

Que n’a pas été la déception quand l’ordonnance du 1er avril n’a retenu « les conditions de travail liées à l’épidémie de Covid-19 » comme simple critère de modulation de la prime.

On est loin d’une prime de risque puisque non seulement elle peut être versée à des salariés qui n’ont pas été exposés à des risques de contagions spécifiques (télétravailleurs), mais en plus ce critère peut être évincé, modulé ou minoré en comparaison à d’autres critères. 

Enfin, l’insécurité juridique est à son comble quand la justice s’en mêle puisqu’alors que ces normes alternatives ont été érigées comme de véritables sources de droits et obligations par leurs créateurs, elles ont finalement été balayées de tout effet contraignant par les autorités judiciaires. C’est ainsi que le 19 octobre dernier, le Conseil d’État a rejeté l’idée d’accorder une quelconque force contraignante au Protocole sanitaire. 

Les entreprises qui le respectent scrupuleusement ne sont donc pas exemptées de tout risque judiciaire y compris pénal…

Que ce Droit Social de l’urgence semble confus, me direz-vous. Balayé par la vague des textes nouveaux, évolutifs, rétroactifs, voire mélioratifs, on pourrait en faire une énième victime du COVID-19.

Mais c’est mal le connaître, car le Droit Social a traversé des tempêtes et celle-ci en est une nouvelle, certes inédite et aiguë, mais au fond, qu’est-ce qu’on a vu ? Et bien tout simplement la vocation première du Droit Social : celle de s’intéresser aux employeurs, aux salariés et à leur réalité de terrain. La hiérarchie s’est inversée, au lieu de descendre du haut, le Droit est monté du bas.

Un pragmatisme à toute épreuve

Si la profusion de textes a pu générer des hésitations, il faut relativiser la cacophonie décriée et ses effets délétères potentiels.

Tout d’abord parce que la profusion de textes a tout de même été accompagnée d’une campagne de communication sans précédent où membres du Gouvernement et spécialistes de la matière sociale ont été invités sur tous les médias de masse facilitant la compréhension des mesures d’urgences misent en place.

De même, des sites juridiques payants sont devenus gratuits pendant cette période et ont permis de diffuser largement des explications sur les changements juridiques. De plus, le confinement aidant, chacun avait le loisir de prendre le temps pour capter les informations et ainsi de les comprendre.

Ensuite, si la hiérarchie des normes a pu être bousculée, elle reste néanmoins immuable, la décision du Conseil d’État le rappelle.

Donc le Droit Social d’Urgence sanctuarise les textes à valeur juridique contraignante tout en faisant de la place à des sources alternatives dont le but est de rendre intelligible des règles parfois obscures pour les néophytes.

De plus, ces textes alternatifs sont temporaires. Leur apparition montre au contraire le pragmatisme du droit social qui a su s’adapter au gré de la situation sanitaire et économique aux besoins du terrain.

Le Droit Social a donc su se montrer audacieux.

Mais surtout il a été protecteur, car la France est certainement l’un des pays qui a su le mieux protéger ses travailleurs à la fois sur le plan sanitaire et à la fois sur le plan économique.

C’est d’ailleurs cette protection qu’il faut retenir, car en dépit des critiques nombreuses que l’on peut faire, cette crise a surtout permis au Droit Social de revenir à son essence protectrice de la partie faible au contrat de travail.

Par conséquent, si l’État a été en urgence sanitaire, le Droit Social a su lui, s’élever en un véritable Droit de l’Urgence Social.

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