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Télétravail : L’eldorado des inégalités ?

Les opinions contenues dans cet article ne reflètent pas la pensée de Mode d'Emploi, mais uniquement celle de l'auteur.

Publié le par Lorène Do Casal

Introduction :

À l’heure où l’économie repart, les entreprises s’interrogent sur la réorganisation de leur activité. Un thème revient en boucle : Le télétravail.

Voilà le grand champion du confinement forcé puisque le télétravail a concerné plus de 5 millions de salariés contre 1,8 million avant la crise.

Le Medef, soucieux de ne pas tirer de mauvaises conclusions, a appelé les organisations syndicales à se réunir pour établir un  « diagnostic partagé » quand les syndicats réclamaient déjà une négociation interprofessionnelle.

Fin septembre, à l’issue du « diagnostic partagé », le patronat a accepter d’ouvrir les négociation sur le télétravail … pour aboutir sur un ANI non normatif et non prescriptif

On peut comprendre cet engouement en raison des multiples effets positifs du télétravail mis en avant tel que la baisse des émissions de gaz à effet de serre, moins de temps dans les transports en commun, meilleure conciliation de la vie professionnelle et personnelle, baisse des coûts immobiliers des entreprises, meilleure productivité.

Si cette liste des avantages du télétravail est loin d’être exhaustive, ce nouveau mode d’activité est-il réellement vecteur de bien-être au travail ? Ne recèle-t-il pas au contraire, une myriade d’inégalités multiformes ?

Avant de foncer bille en tête comme l’entreprise Twitter qui annonce un télétravail à vie pour ses salariés, abordons les faces obscures du télétravail pour ne pas se jeter (trop vite) dans la gueule du loup.

Le télétravail : vecteur d’inégalités professionnelles 

Le télétravail n’est clairement pas l’affaire de tous. Le confinement a mis en évidence les inégalités de métiers quant à leur éligibilité au télétravail.

Avant la crise, environ 7% des Français pratiquaient le télétravail occasionnel dont 70% de cadres.

En effet, si le télétravail s’adapte très bien aux métiers de consultants, managers ou experts, il l’est beaucoup moins pour les fonctions supports dont la mission est d’être au service des autres.

Même si les ordonnances de 2017 ont facilité le recours au télétravail, les entreprises sont restées assez frileuses, conservant un certain secret autour de cette pratique en la réservant aux cadres.

télétravail – Photo de Andrew Neel provenant de Pexels

Une asymétrie d’information et d’accessibilité entre les salariés selon leur statut et leurs qualifications qui s’explique par l’attachement de certains employeurs à la culture française du présentéisme.  

Vouloir contrôler physiquement et en temps réel le travail des collaborateurs. Ainsi, l’étude publiée par Citrix/Onepoll révèle que 85% des salariés n’ont reçu aucune information sur la pratique du télétravail dans leur entreprise.

Au-delà des catégories socioprofessionnelles, les secteurs d’activités sont inégaux face au recours au télétravail. En effet, il est plus aisé dans une compagnie d’assurance qu’une entreprise de service à la personne.

Ceci explique les tensions nées pendant la crise épidémique où les secteurs considérés comme « essentiels à la vie de la Nation » ont été particulièrement exposés au risque de contagion, car ils ne pouvaient pas télétravailler quand les cadres, mieux payés, étaient eux, protégés et en sécurité.

Le télétravail : vecteur d’inégalités psychologiques

Les inégalités psychologiques ne doivent pas non plus être occultées. La pratique du flex office, le sans bureau fixe en bon français, se développe et consiste à n’accorder aucun bureau précis aux télétravailleurs de retour sur site. Un nomadisme susceptible d’engendrer une perte de repères sociaux pour les salariés, un isolement.

L’isolement caractérise la perte de repères sociaux du salarié. Seul(e) à son poste de travail, la santé psychologique du salarié peut être mise à mal par le manque de socialisation, la perte de sens ou encore la difficulté de faire remonter des dysfonctionnements relatifs à ses conditions de travail.

On sait déjà que le télétravail engendre de la détresse pour près de 44% des salariés voire même un risque de dépression pour 1/4 d’entre eux. L’entreprise est le lieu par excellence de socialisation.

Le télétravail conduit à une baisse du lien social et isole l’individu de sa communauté de travail. Si l’on désincarne en plus le poste de travail du salarié, les fragilités psychiques risquent de s’accroître.

D’autant qu’un autre risque existe avec la tacheronisation du travail en raison de la parcellisation des tâches confiées au salarié en télétravail.

Seul pour travailler, sans aide ni dialogue avec ses collègues, les responsabilités sont exacerbées et le stress engendré détériore le bien-être au travail. De même, le rendu ne sera pas vendu de la même manière qu’un travail réalisé sur site.

Ce dernier sera accompagné de tout un artifice informel, composé d’une gestuelle et de mots qui vont augmenter la potentialité du travail réalisé parce que l’individu aura su le mettre en valeur.

Au contraire, le télétravailleur devra se contenter d’une simple pièce jointe envoyée par mail avec une explication écrite, formelle, qui affaiblit comparativement la potentialité de son travail.

Le télétravail : vecteur d’inégalités spatiales

Par ailleurs, les télétravailleurs, selon leur capital immobilier, ne sont pas tous logés à la même enseigne.

En effet, le capital immobilier d’un individu est primordial puisqu’il joue un rôle dans la mise en conditionnement de l’individu dans un espace propice au travail.

Un logement exigu, sans espaces verts, exposé au Nord, avec une mauvaise isolation sonore ou thermique réduira tous les effets bénéfiques attendus du télétravail.

Pendant le confinement, les parents avec enfants, les habitants de grandes villes concentrées et les jeunes vivant dans des logements universitaires ont souffert de ces environnements de travail délétères à leur bien-être.

Par contre, ceux qui ont télétravaillé depuis une maison à la campagne avec des pièces plus nombreuses et spacieuses ont maximisé les potentiels bénéfiques du télétravail.

Le boom des recherches de résidences à la campagne montre que les Français ont pris conscience que si le télétravail devait se développer, il fallait pour cela, ne pas négliger l’espace dans lequel il devait s’exercer.  

Le télétravail : vecteur d’inégalités de genre

Autre vigilance à signifier est celle induite par les inégalités de genre que sous-tend le télétravail.

En effet, la prégnance d’une culture patriarcale demeure avec l’idée que les femmes, avec leur vocation naturelle à s’occuper des enfants utiliseront le télétravail non pas pour une meilleure conciliation de leur vie professionnelle avec leur vie personnelle, mais pour substituer leur travail par leur rôle de mère.

D’où les réticences de certains employeurs sur l’octroi du télétravail aux femmes.

De même, l’autre inégalité qui s’est révélée avec d’autant plus d’acuité pendant le confinement concerne l’inégale répartition des tâches ménagères dans le couple.

Une femme qui télétravaille serait avant tout une femme au foyer. Un constat édifiant qui montre que le changement de paradigme reste difficile.

Le télétravail : vecteur d’inégalités technologiques

Par ailleurs, alors qu’il est question de l’implantation prochaine des réseaux 5G sur notre territoire, on semble oublier qu’existe encore en France une fracture numérique.

De nombreuses zones françaises ne sont pas encore équipées en fibre et même la 3 ou 4G peinent encore à s’implanter. Dès lors, comment peut-on parler de généralisation du télétravail quand, de fait, une partie du territoire souffre d’une très faible connectivité ?

Les habitants des zones rurales sont défavorisés par rapport aux habitants des espaces urbains. Pour autant, même pour ces derniers, la connectivité n’est pas idéale. On l’a vu, les applications de visioconférences telles que Zoom ou Teams ne permettent pas encore de remplacer les échanges physiques.

télétravail
Télétravail – Photo de cottonbro provenant de Pexels

Toutefois, le confinement a permis d’observer un phénomène d’« exode » des gens des métropoles vers des zones moins peuplées (résidences secondaires, maisons de famille etc).

Le déconfinement a précisé cette tendance : augmentation des recherches pour une résidence secondaire, ou pour des résidences principales à la campagne (chartre etc). On peut penser que cela va contribuer à accélérer le déploiement du numérique sur tout le territoire.

Au-delà des questions de protection des données, ces applications de simulation d’interactions épuisent nos capacités cognitives.

Leur fréquence, la limitation des sens sollicités, l’obligation de planification et de structuration des écrans sursollicitent nos cerveaux. Nous sommes contraints de surjouer nos interactions pour compenser la désynchronisation des images et des sons.

Le télétravail : vecteur d’inégalités générationnelles

L’accessibilité du télétravail est révélatrice d’un conflit générationnel. La flexibilité au travail est une notion qui s’étend aujourd’hui aux conditions d’exercice des missions confiées aux salariés.

Cela suppose de s’adapter à de nouveaux lieux, de nouvelles formes de connectivité et plus largement à de nouveaux usages spécifiques à la culture du numérique.

En effet, nous avons un télétravail qui a pour support l’utilisation et la maîtrise des technologies de l’information et de la communication. Or, pour les seniors, cela exige une acculturation à ces outils quand pour la jeune génération, leur utilisation apparaît plus naturelle, car ils sont usités depuis leur enfance.

Ce sont donc ces derniers qui devraient être massivement concernés par le télétravail. Pourtant, seuls 15% des moins de 25 ans déclarent travailler à distance !

On peut expliquer ce chiffre pour plusieurs raisons. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les jeunes recherchent le contact physique, les échanges informels et la communication verbale, ce qui les incitent peu à demander à bénéficier du télétravail, au moins dans sa forme récurrente.

Mais ce faible taux s’explique également par la réticence de certains employeurs d’ouvrir cette pratique à un public qui n’a pas forcément les responsabilités suffisantes pour assurer seul des tâches à son domicile, sans surveillance.

La nécessité d’exporter des informations sensibles à un travailleur qui n’a pas une ancienneté suffisante pour donner un gage de fidélité et de loyauté peut aussi expliquer cette méfiance au même titre que la prégnance de stéréotypes infondés du jeune qui chez lui, passerait plus de temps sur les réseaux sociaux que sur son travail professionnel.

Pour conclure …

On le voit, le télétravail ou travail en remote n’est pas nécessairement le gage d’une vie plus heureuse où le travail s’adapte à nos convenances de temps, de lieux et d’actions. Il génère et cristallise des inégalités protéiformes.

Le sentiment de liberté paradoxale vécu par des travailleurs qui ont découvert le télétravail pendant la crise du COVID-19 ne doit pas faire occulter les défis immenses à relever pour que cette forme alternative d’organisation du travail soit juste, équitable et socialement soutenable.

Une réflexion globale doit être menée. Sachons faire preuve de pragmatisme pour éviter de faire d’une idée souhaitable, une réalité insoutenable.

Télétravail, un débat de société ?

Si vous voulez en savoir plus sur nos réflexion sur le télétravail, nous vous recommandons la lecture de ces articles :

  • Repenser les temps et lieux de travail – épisode 1
  • Repenser les temps et lieux de travail – épisode 2

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