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Macron finance-t-il les syndicats ?

Les opinions contenues dans cet article ne reflètent pas la pensée de Mode d'Emploi, mais uniquement celle de l'auteur.

Publié le par Anna S.

Ça y est, Mode d’emploi se lance dans le « putaclic ». Ou pas.

L’autre jour, je me baladais sur Youtube. De vidéos en vidéos, je suis tombé sur une vidéo décryptant le scandale du financement des syndicats. Interpellé par cet Albert Londres des temps modernes, j’ai cliqué. Le discours pouvait se résumer, sans rire, de la manière suivante : « le gouvernement a versé 127 millions d’euros aux syndicats en 2018, c’est pour ça qu’ils acceptent les réformes ». Dans les commentaires, un internaute qui avait fait visiblement ses propres recherches, indiquait que selon le rapport Perruchot, les syndicats bénéficieraient d’un financement de 4 milliards d’euros.

Une version européenne de ce discours existe, portée notamment par ce « parti qui monte malgré le silence des médias », selon laquelle les confédérations syndicales seraient financées par la Commission Européenne.

Dans un cas comme dans l’autre, l’idée est de dire que les organisations syndicales ne sont pas totalement indépendantes… et par ricochet, pas totalement une véritable opposition.

Mais alors, est-ce que c’est vrai ? Ça tombe bien, c’est l’objet de cet article.

Note : pour la suite de la lecture, le terme « syndical » utilisé seul renvoie indistinctement aux organisations de salariés et d’employeurs. Lorsque « syndical » et « employeur » sont utilisés successivement, c’est pour mettre en avant quelques différences pouvant exister entre les organisations représentant les employeurs et celles représentant les salariés.

Une difficulté de calcul

Le financement des organisations syndicales et employeurs est un sujet complexe. On a tendance à considérer ces organisations comme un tout homogène, avec une seule tête. À rebours de la tradition jacobine centralisatrice qui a permis la constitution de l’État, les syndicats se sont construits – et se construisent encore – depuis « la base », le local ou l’entreprise.

Si l’on considère l’ensemble des partenaires sociaux, patronaux ou syndicaux, il existe plus de 9000 entités : interprofessionnelles, professionnelles, locales, … Chacune de ces structures existent, avec une personnalité morale propre et des comptes distincts. Il peut exister des transferts financiers entre les structures de la CGT par exemple, mais chacune a sa comptabilité. Et les sources de financement ne sont pas nécessairement les mêmes. A cela, il faut également ajouter qu’il n’existe pas toujours de lien hiérarchique entre confédération et syndicat d’entreprise : ce sont davantage des détenteurs d’une même marque.

A ma connaissance, il n’existe pas de consolidation nationale obligatoire de chacune des composantes des confédérations. En plus de cela, les comptes ne prennent en compte que les éléments financiers : le temps passé par une personne durant ou en dehors du temps de travail n’est pas comptabilisé.

A noter également, les partenaires sociaux doivent faire valider leur compte annuellement avec une intervention du commissaire aux comptes.

Une multiplicité des canaux de financements

Les cotisations

La première source de financement est évidemment la cotisation des adhérents. L’adhésion se fait auprès d’un syndicat. Ce syndicat peut faire partie d’une fédération, qui elle-même peut appartenir à une confédération. Ainsi, dans une partie des organisations, la cotisation est versée au syndicat, qui reverse une partie de celle-ci à la fédération, et/ou à la confédération. Ce que l’on constate, c’est que la part issue de la cotisation se réduit au fur et à mesure des transferts : un syndicat aura une large part de ses ressources venant des cotisations, là où une confédération, plus « éloignée » en aura une part plus faible.

Dans d’autres structures, c’est la confédération qui reçoit les financements issus des cotisations et qui en reverse une part aux syndicats. D’ailleurs, savoir qui perçoit la cotisation est souvent un élément déterminant concernant les rapports de force au sein d’une même organisation. A la CFDT par exemple, l’adhésion se fait sur le site confédéral, tandis qu’à la CFE-CGC, le potentiel adhérent est envoyé vers les sites des syndicats.

Un point que l’on relève rarement est que ces cotisations sont déductibles des impôts, à hauteur de 66% de la cotisation. Certes, il faut payer des impôts et il faut aussi vouloir le déclarer à l’État : tout le monde n’a pas nécessairement l’envie de le faire.

[Note : on évitera ici les débats de savoir si une réduction d’impôt favorise l’engagement syndical des plus riches ou si l’argent non-perçu par l’État équivaut à un remboursement par le contribuable].

Du côté des employeurs, les mêmes échanges existent et peuvent être ainsi plus complexes. Une adhésion d’une entreprise à une fédération patronale n’est pas exclusive. On peut ainsi adhérer à plusieurs organisations professionnelles, comme le MEDEF et la CPME… en même temps, ce qui est impossible du côté des organisations syndicales. Typiquement, la fédération française du bâtiment (FFB) est adhérente à la fois au MEDEF et à la CPME.

L’AGFPN et le financement des structures paritaires

La deuxième source de financement est l’AGFPN (association nationale de gestion des fonds du paritarisme). Pour simplifier, la loi donne des missions aux partenaires sociaux dans l’élaboration, la gestion et la mise en œuvre de politiques sociales, au niveau national comme au niveau de l’entreprise. Ce financement est compréhensible dans le sens où les négociateurs d’une politique se doivent d’avoir les moyens nécessaires pour remplir leur mandat. Si un administrateur doit faire un choix sur une décision qui impacte potentiellement des millions de personnes, mieux vaut qu’il ait travaillé le sujet d’un point de vue économique, juridique, …

[Mode d’emploi a publié plusieurs articles relatifs au syndicalisme et à l’intérêt général que vous pouvez retrouver ici et ici].

De manière plus concrète, ce financement peut également servir à des remboursements de frais de transport, hébergement ou restauration.

Le financement provient d’une contribution obligatoire des entreprises à hauteur de 0,016% de la masse salariale (environ 100 millions d’euros par an) et d’une subvention annuelle d’environ 30 millions d’euros : soit au total environ 130 millions €. Divisé par le nombre de structure au total, ou par le nombre d’adhérents, l’enveloppe peut être vite consommée.

Au départ, ce type de financement était plutôt ciblé vers les politiques liées à la formation professionnelle. Mais, progressivement, le champ de l’AGFPN a vocation à s’élargir. Certaines autres dotations, notamment issues de structures paritaires – notamment l’Unédic, pourraient bientôt rejoindre la structure.

On pourrait se dire que si le financement sert notamment à rémunérer des salariés, des études, des formations,… pourquoi multiplier les dotations alors que l’on pourrait au contraire rémunérer simplement un « pôle d’experts » qui seraient mis à la disposition des partenaires sociaux : ce pôle ferait le même travail… et il n’y aurait qu’une rémunération.

Prenons l’Unédic par exemple : le rapport financier 2019 indique page 44 qu’elle procède au versement d’un montant de 3,8 millions d’euros (au total) à destination des partenaires sociaux « dans le cadre de la gestion de l’assurance chômage ». Ces versements ont les objectifs fixés plus hauts : l’Unédic ne pourrait-elle pas mettre à disposition des experts, qu’elle pourrait salarier, pour répondre aux questions des partenaires sociaux ?

En réalité, c’est plus complexe que cela. Mais je vois deux éléments – à première vue, il y en a sûrement d’autres – qui contredisent cette « concentration d’expertises ».

D’une part, les partenaires sociaux sont assez méfiants : lorsque dans une entreprise, on fait appel à un cabinet d’audit, il n’est pas rare que celui-ci donne raison à celui qui l’emploie. En d’autres termes, si c’est la direction ou si ce sont les syndicats qui commandent (et donc paient) le rapport, les conclusions de ce dernier peuvent être parfois un peu différentes.

D’autre part, il ne faut jamais oublier le primat du politique sur le « technique ». Ainsi, c’est bien l’organisation politique qui définit le cadre dans lequel s’exerce l’action du « technique » : dans le cas de l’Unédic, on pourrait penser qu’il existerait alors une « neutralisation » entre les différentes organisations. Et les techniques, pris en deux feux, ne sauraient alors à qui rendre des comptes.

Sans compter qu’il n’est pas certain que l’Unédic demeure tel quel : un rapprochement avec Pôle Emploi pourrait ainsi faire sens. Dans ce cas, que deviendraient les experts ?

Note : les financements de l’AGFPN peuvent avoir une finalité tout autre. Ainsi, lorsqu’un salarié siège au sein d’une commission paritaire, l’entreprise peut demander le remboursement du salaire dudit salarié à l’organisation mandante.

L’Unédic finance également les partenaires sociaux

Les fonds conventionnels

Le troisième type de financement est le financement de branche qui vient compléter celui de l’AGFPN, jugé insuffisant. Des accords collectifs ont donc mis en place des financements supplémentaires. Ainsi, dans la branche du transport routier, l’accord du 13 décembre 2018 porte sur le fonctionnement et au financement du dialogue social. Il institue une contribution de 0,05% de la masse salariale gérée par une association dénommée « AGEDITRA ». Cette contribution vise à prendre en charge les frais de location de salle, les salaires, les frais de déplacements, d’hébergement ou de restauration, pour un nombre limité de représentants par organisation ainsi que les frais documentaires. En faisant une rapide recherche sur Legifrance, on retrouve une centaine d’accords du même type suivant les branches professionnelles.

Mais dis-moi Jamy (oui, parce qu’on est vieux), pourquoi ces financements de branches ne passent-ils pas par l’AGFPN ? C’est une excellente question, je vous remercie de l’avoir posée. En fait, l’AGFPN s’occupe des missions légales, tandis que les accords de branche s’occupent de mettre en place des politiques spécifiques. S’ils considèrent que les moyens ne sont pas suffisants, libres à eux d’en rajouter. Et puis il y aurait un souci de liberté d’association et de propriété privée ; si je décide de m’imposer une contribution, pourquoi ne pourrais-je pas décider de qui en a la gestion ?

Mais cette situation pourrait évoluer d’ici quelques années, pour des raisons pratiques. Ainsi, si les actuels opérateurs de compétences, qui agissent sur les questions de formation professionnelle et d’apprentissage, n’ont pas le droit de financer les organisations syndicales, il existe pour le moment une tolérance quant à la collecte des fonds conventionnels sur le sujet. Jusqu’à quand ? Toutes les branches seront-elles en capacité de collecter ces fonds ?

Il y a aussi des financements qui l’on peut trouver « particulier ». Ainsi, des accords existent, sont signés et étendus (par exemple, celui-ci) où l’organisation patronale verse directement des fonds aux organisations syndicales. Même si ces financements restent, dans leur ensemble, relativement limités, cette pratique peut légitimement interroger.

Les subventions

Un financement public existe dans le cadre de l’AGPFN, comme on l’a vu, à hauteur de 30 millions d’euros. Mais ça n’est pas tout. Les collectivités locales peuvent également attribuer des subventions ou prêter des locaux par exemple.

A la fin du conseil municipal de Dijon, le 28 janvier 2019, est voté une subvention au profit de la CGT pour l’organisation de son congrès. L’attribution de celle-ci fait l’objet de débats, avec une opposition de la droite et du centre.

Il n’est pas toujours évident de savoir combien chaque organisation perçoit au niveau local. Et il n’existe de panorama tout à fait exhaustif sur le sujet.

Et les 4 milliards alors ?

Si l’on additionne toutes les sommes, on est en réalité loin des milliards d’euros. On se situerait, cotisations comprises, aux alentours de 500 millions d’euros par an. En réalité, le reste est composé du temps passé par les personnes durant leurs heures de délégations : il s’agit là du temps passé durant le temps de travail et rémunéré par l’entreprise.

Ainsi, en estimant le nombre de mandats liés aux syndicats, on obtient un nombre d’heures. Ce nombre est ensuite multiplié par un taux horaire moyen ce qui nous donne le montant total. Sauf que ce calcul n’est plus véritablement d’actualité. En effet, le nombre de mandats a drastiquement diminué ces dernières années dans les entreprises, et en dehors.

Cela dit, on ne compte pas le temps bénévole passé par les adhérents hors temps de travail. Il n’est ainsi par rare qu’après une journée de travail commence une nouvelle journée pour le syndicaliste, celle de son mandat.  

Des pistes pour améliorer le financement

Dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes serait erroné. Mais tout n’est pas aussi sombre que les vidéos du début pouvaient le laisser penser.

Quelques pistes pourraient être proposées dans un premier temps et notamment développer le rôle de l’AGFPN. Ainsi, si celle-ci verse des fonds aux confédérations, il ne s’agit pas nécessairement du destinataire final. Plus qu’une présentation des fonds par confédération, il s’agirait de faire une présentation des fonds par bénéficiaire final.

Cette proposition pourrait s’accompagner d’une obligation pour les organisations de présenter la provenance des subventions, et le montant des fonds reversés par bénéficiaire. La CFE-CGC, confédération représentant le personnel de l’encadrement, fait déjà ce travail en indiquant quels sont les montants reversés à ses fédérations.

L’AGFPN pourrait également se charger de faire la liste de l’ensemble des subventions versées par les collectivités et les différents acteurs publics, mais également les fonds conventionnels. Et de la publier sur son site internet.

Tous ces documents seraient accessibles en format réutilisable, via un tableau excel ou un format s’inscrivant dans une démarche d’open data.

Ou alors, … un autre système pourrait être mis en place : la suppression de toutes les contributions versées aux partenaires sociaux, en dehors de leurs cotisations. Un tel système serait ambitieux mais devrait s’accompagner d’autres réformes : la syndicalisation obligatoire ou le fait que seuls les adhérents à un syndicat bénéficient des résultats de la négociation.

Un basculement pourrait arriver peut-être plus vite que prévu : les organisations patronales, le MEDEF en tête, commencent à refuser de recevoir les fonds du paritarisme (notamment de l’Unédic). Cette démarche, même si elle ne se fait pas sans douleur, notamment pour les organisations territoriales, pourrait ainsi contraindre les organisations syndicales, moins riches, à adopter la même position.

Mais à l’heure actuelle, rien n’est encore joué.

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