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Télétravail : La guerre des tickets-restos

Les opinions contenues dans cet article ne reflètent pas la pensée de Mode d'Emploi, mais uniquement celle de l'auteur.

Publié le par Lorène Do Casal

Les juges auraient-ils envie de rejouer le match du barème Macron à coup de décisions contradictoires ?

Telle semble être l’horizon tracé au vu des deux décisions rendues à quelques jours d’intervalle entre le Tribunal judiciaire de Nanterre[1] et celui de Paris[2].

Le nouveau terrain miné ? Celui de l’attribution des tickets-restaurants aux télétravailleurs.

Tu télétravailles mais sans victuailles !

Depuis le début de la crise épidémique liée au coronavirus, le mot d’ordre est martelé par nos gouvernants était le suivant : Le télétravail n’est pas une option pour ceux qui peuvent l’être.

C’est ainsi que du jour au lendemain, des entreprises ont dû généraliser cette pratique, contraintes et forcées et sans nécessairement avoir réfléchi à la question. En conséquence, beaucoup de règles ont été établies sur le tard et les choses qui paraissaient naturelles le devenaient beaucoup moins une fois en télétravail.

Le point de crispation s’est donc porté sur la question de savoir si les salariés en télétravail pouvaient, au même titre que leurs collègues travaillant sur site, bénéficier des tickets-restaurants.

Curieuse préoccupation française de vouloir manger dans les restaurants à l’heure où ils sont tous fermés…

Quoi qu’il en soit, de nombreuses entreprises ont refusé d’en faire bénéficier leurs salariés télétravailleurs.

Une inégalité de traitement, vraiment ?

Le Tribunal de Nanterre a ainsi entendu les arguments d’un employeur réfractaire et y a fait droit.

Le Tribunal a tout d’abord considéré que les tickets-repas ne constituaient pas une obligation légale. Ces derniers devaient être prévus dans le cadre d’un accord collectif ou d’un engagement unilatéral de sorte que leur attribution aux télétravailleurs peut alors être directement réglée dans un texte et clore le débat.

Cependant, il y a un an, le télétravail était une forme d’organisation du travail encore balbutiante. Peu d’entreprises disposaient en interne d’un texte régissant cette question.

On pouvait alors se reporter sur l’ANI de 2005 ou celui de 2020 qui traite la question du télétravail. Mais pas de chance, ni l’un ni l’autre ne parle des tickets-repas.

Le juge s’est alors penché sur l’article L.1222-9 du Code du travail qui prévoit que « Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise ».

Dès lors, la solution paraissait limpide : les télétravailleurs devaient pouvoir bénéficier des tickets-restaurants.

Que nenni, répond le juge !

Cet article qui ne fait que traduire le principe cher au Droit du travail, qui est l’égalité de traitement. Mais pour être applicable, encore faut-il que les salariés soient placés dans une situation similaire au regard de l’avantage en question.

Et c’est sur cet aspect que l’a emporté l’employeur.

Le Tribunal de Nanterre considère que les tickets-repas sont réservés aux salariés qui se déplacent au bureau pour compenser le surcoût d’un repas pris en dehors de leur domicile en raison de leur activité professionnelle et lorsque leur temps de travail inclut une pause méridienne.

Or, par définition les télétravailleurs sont à leur domicile. Ils n’ont donc a priori pas de surcoût de restauration liée à leur activité professionnelle.

Pour les juges de Nanterre, il n’y a donc pas lieu d’octroyer des tickets-repas aux télétravailleurs.

Gare à l’enjeu social et sociétal…

Cette position sévère des juges Nanterrois allait pourtant être vite contrebalancée par les juges parisiens qui adoptaient, quelques jours plus tard, la position inverse : les télétravailleurs ont droit aux tickets-repas ! Ils ont considéré que faute pour l’employeur de démontrer l’existence d’un motif objectif venant caractériser une différence de situation entre les salariés sur site et ceux à domicile, ces derniers pouvaient revendiquer leurs tickets-repas.

 Cette décision doit être comprise dans son acception sociale et sociétale.

Sociale tout d’abord, parce qu’à l’heure où les entreprises calculent les immenses économies qu’elles vont réaliser grâce au gain de place, aux loyers, aux équipements informatiques et électroniques, aux factures d’eau, d’électricité, de chauffage, etc… Il apparaîtrait sidérant malaisant de transférer ces coûts à la charge des salariés travaillant chez eux.

Peut-on en effet concevoir qu’un salarié supporte seul les coûts engendrés par son activité professionnelle par le simple fait qu’elle se déroule chez lui ? Sans compter l’immixtion de sa vie professionnelle dans sa vie personnelle…

À n’en pas douter, l’économie du contrat s’en trouverait chamboulée, déséquilibrée et par conséquent, socialement inacceptable.

D’autant que rien n’oblige le salarié à exercer son activité à domicile, ce dernier pouvant se rendre dans un espace de coworking pour travailler. La règle ne tient donc plus.

Puis, il faut tout de même souligner que le télétravail sous Covid n’a pas été un choix des salariés. Instauré sous contrainte, faire porter sur leurs épaules les coûts de cette forme d’organisation du travail serait insensé.

Sociétale enfin parce que si les employeurs décident de rechigner sur un détail comme la subvention du repas d’un salarié, il risque d’avoir peu de candidats à cette forme alternative d’organisation du travail. C’est ainsi mettre un frein à un phénomène qui présente des enjeux considérables pour l’avenir des entreprises avec une redéfinition des méthodes de management, d’organisation, de relations interpersonnelles sans compter les économies réalisées par ailleurs, l’engagement plus profond des salariés pouvant gagner en autonomie, équilibre « vie pro/vie perso », etc… En bref, c’est mettre un frein à une transformation des entreprises génératrices de gains financiers mais aussi et surtout extra-financiers.

Alors en attendant de connaître la position de la Cour de cassation qui sifflera la fin de la partie, le mieux est d’encourager les partenaires sociaux à négocier en interne des accords collectifs réglant la question et, pour les employeurs encore frileux, sachez qu’un salarié bien nourri donnera un salarié investi !


[1] Tribunal judiciaire Nanterre, 10 mars 2021, n°RG 20/09616

[2] Tribunal Judiciaire Paris, 30 mars 2021, n°RG 20/09805

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