Interview

Julien Icard : « Les ordonnances ne favorisent pas la négociation »

Les opinions contenues dans cet article ne reflètent pas la pensée de Mode d'Emploi, mais uniquement celle de la personne interviewée.

Publié le

Lors de notre entretien avec Barbara Gomes, nous avons notamment évoqué la question des Ordonnances de septembre 2017 dites « ordonnances Macron ».

Curieux, nous avons voulu en savoir plus et avons donc demandé au Professeur Julien Icard de nous accorder un entretien pour approfondir le sujet avec lui.

Julien Icard est professeur de droit à l’université Paris II panthéon Assas, après avoir enseigné à l’université de Valenciennes (devenue polytechnique Hauts-de-France), ainsi qu’à Paris I Panthéon Sorbonne.

Chroniqueur régulier dans des revues juridiques, Julien Icard est également l’auteur d’une thèse intitulée « Analyse économique et droit du travail » soutenue en 2012 »

Il nous semblait donc être la personne idoine pour répondre à nos questions !

Comme l’entretien a été très riche, nous avons décidé de le scinder en deux parties, en voici la première :

Partie 1 : Les ordonnances Macron

Pour commencer, est-ce que vous pouvez nous présenter rapidement la philosophie globale des ordonnances Pénicaud de 2017 ?

Cette réforme, composée de 5 ordonnances, s’articule principalement autour de trois axes, trois thématiques, qui sont les relations individuelles de travail, remodelées par les ordonnances n° 2017-1389 et n° 2017-1387, les institutions représentatives du personnel, traitées par l’ordonnance n° 2017-1386, et la négociation collective, avec les ordonnances n° 2017-1385 et n° 2017-1388, même si, la thématique de la négociation collective est une thématique qui infuse dans à peu près toutes les ordonnances.

Les objectifs de cette réforme sont d’une part la flexibilisation de la relation contractuelle pour les salariés, et d’autre part sa sécurisation, pour les entreprises.

Cette sécurisation, pour les entreprises, se traduit principalement par des mesures visant à reformer la prévisibilité des conséquences de la rupture du contrat de travail. Cela s’est principalement incarné dans ce que l’on appelle le « barème Macron », mais ce n’est pas la seule mesure. À titre d’exemple, nous pouvons citer la question réduction des délais de prescription.

Mais cette sécurisation se traduit également par des mesures de « simplification » ou de « rationalisation », telles que la fusion des instances représentatives du personnel dans le nouveau CSE. Il est à noter que cette fusion obéit également à une volonté politique, moins avouable, qui est de revoir la question des heures de délégations et des expertises.

À ce stade, il convient de préciser que l’idée selon laquelle il faut renforcer la prévisibilité pour les employeurs pour favoriser l’emploi, est une vieille revendication, mais qui est extrêmement discutée sur le plan théorique et non éprouvée sur le plan empirique.

Enfin, cette réforme se présente comme une réforme qui veut renforcer et développer la négociation collective. Je pense plutôt qu’il s’agit d’une réforme profonde du mode d’élaboration de la norme en droit social avec la priorité donnée à l’accord d’entreprise. Accords qui peuvent être l’objet d’une négociation, mais ce n’est pas le seul vecteur, puisque les ordonnances mettent en place plusieurs moyens alternatifs de conclusion d’un accord d’entreprise, ce qui est loin d’être anodin.

Cette primauté donnée à l’accord d’entreprise s’inscrit dans la continuité de la Loi El Khomri de 2016, qui instaure le fameux triptyque ordre public – champ de la négociation – disposition supplétive. Ce triptyque, qui était cantonné à quelques rares domaines, est maintenant généralisé dans le Code du travail.

Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi cette réforme n’est pas une réforme visant à développer la négociation collective ?

La réforme est régulièrement présentée par ses auteurs comme étant une reforme sociale qui a pour but d’encourager la négociation collective, notamment et principalement dans les petites entreprises qui en étaient, jusqu’à présent, privées.

Cela est assez ironique sachant que cette même réforme, pour développer la négociation, met en place des modes alternatifs d’élaboration des accords d’entreprises, sans syndicats et sans négociation.

L’exemple le plus marquant est, dans les entreprises de moins 20 salariés, le fameux référendum qui permet à l’employeur d’avoir un accord d’entreprise, sans avoir à négocier une seule ligne du document qu’il a lui-même rédigé.

C’est la raison pour laquelle je pense que cette réforme ne vise pas à renforcer la négociation collective, mais à faire la promotion de l’accord d’entreprise.

Promotion qui est d’ailleurs le corolaire de ce que l’on a appelé « l’inversion de la hiérarchie des normes », qui donne à l’accord d’entreprise la faculté de primer sur les stipulations prévues par une convention collective de branche par exemple.

Il est à ce titre intéressant de constater que la mise en place de l’instance unique de représentation du personnel, est irriguée par cette toute-puissance de l’accord d’entreprise, qui peut règlementer de très nombreux aspects du CSE, tel que le nombre d’heures de délégation.

L’accord d’entreprise devient une sorte de couteau suisse pour l’entreprise qui permet même de rompre les contrats de travail avec la rupture conventionnelle collective, ou de les modifier avec les accords de performance collective.

Et si vous deviez faire un bilan de cette réforme, quel serait-il ?

Dans le contexte de la crise sanitaire de la Covid-19, faire un bilan des ordonnances me semble être une tâche compliquée, cependant on peut aisément constater qu’il y a des choses qui fonctionnent et d’autres qui fonctionnent moins, qui sont vecteurs d’incertitudes.

Dans ce qui marche bien, il y a les fameux accords de performance collective ainsi que la rupture conventionnelle collective. Ce sont deux types d’accords instaurés par les ordonnances et qui ont connu rapidement un fort succès, et qui risquent d’être fortement mobilisés par les entreprises dans les semaines et mois à venir.

À l’inverse, le barème macron est un des dispositifs qui se trouve au milieu du gué. Il y a eu des contentieux, nous sommes d’ailleurs dans l’attente d’une décision du comité européen des droits sociaux. De plus, il se pose des questions sur le rôle du juge, qui pourrait contrôler au cas par cas la conventionnalité et, partant, l’applicabilité du barème, ce qui, au final, ne sécurise pas les entreprises.

La réforme des institutions représentatives du personnel est l’exemple parfait d’une mesure qui en apparence semble être une réussite, puisque de nombreuses entreprises l’ont adoptée, réussite qu’il conviendrait de nuancer.

D’une part parce que les entreprises n’avaient pas le choix, elles avaient l’obligation de passer au CSE, et d’autre part, car, si l’on regarde attentivement le rapport intermédiaire du comité d’évaluation des ordonnances, la négociation a rarement abouti à donner au CSE plus que le minimum légal.

Par contre, la grande « réussite » des ordonnances Macron, qui n’est pas forcement avouable, c’est d’avoir réussi à faire baisser drastiquement le nombre d’heures de délégation, de mandats, et d’avoir réduit la possibilité de recourir à l’expertise pour le CSE.

On constatera d’ailleurs que cette baisse du recours à l’expertise s’avère très problématique dans cette période de crise sanitaire…

Enfin, de cette réforme découle une foultitude d’interrogations, d’incertitudes juridiques. Nous avons déjà évoqué la question du barème Macron, mais il y a aussi des questions juridiques sur les APC, ainsi que sur les fameuses « garanties au moins équivalentes », qui ont remplacé le principe de faveur.

Concernant la création des conseils d’entreprise, ne pensez-vous pas qu’il s’agit d’un premier pas vers la normalisation de négociations sans monopole syndical ?

Le conseil d’entreprise constitue le cheval de Troie des ordonnances et l’idée sous-jacente est plutôt de tendre à une situation où les très grosses entreprises mettent en place un conseil d’entreprise et où les PME conservent un CSE.

Pour le moment, les CE ne fonctionnent pas, le rapport intermédiaire du comité d’évaluation des ordonnances, souligne même qu’il y a trop peu de Conseil d’entreprises (CE) mis en place pour faire une véritable évaluation.

Le CE constitue, de ce que j’en comprends, une sorte de deal avec, d’un côté, des délégués syndicaux qui se font « hara kiri » et renoncent à leur pouvoir de négociation et, de l’autre, une institution aux prérogatives renforcées. Parmi ces prérogatives, il serait notamment question qu’un certain nombre de décisions de la Direction soient soumises à un avis conforme du Conseil et pas seulement la question de la formation, qui constitue actuellement le seul thème obligatoirement soumis à avis conforme.

Or, dans les accords que j’ai pu consulter, cette question des prérogatives n’est quasiment pas abordée. Cela est signe que les employeurs ne sont pas prêts à adhérer à la philosophie des CE, qu’ils ne sont pas prêts à soumettre leur prise de décision à des avis conformes du CE sur des questions trop importantes.

Ainsi, si les entreprises arrivent à faire cette concession, alors on pourra se poser la question d’une normalisation pérenne de l’exclusion du monopole syndical. Quoi qu’il en soit, le CE est un cheval de Troie, certes, mais qui ne collant pas avec la philosophie du droit français est perçu comme un ersatz du Betriebsrat allemand.

Propos recueillis par Ana Cuesta et Camille Allex.

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