Interview

Franck Morel : « Je pense qu’il faut remettre sur la table la question, très structurante, du syndicalisme de service »

Les opinions contenues dans cet article ne reflètent pas la pensée de Mode d'Emploi, mais uniquement celle de la personne interviewée.

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À Mode d’Emploi nous sommes soucieux de vous apporter une pluralité de points de vue sur les questions en lien avec l’emploi, la formation et le droit du travail.

À ce titre nous avons sollicité un entretien avec Maître Morel – le « Monsieur social » du Gouvernement Philippe – sans vraiment trop y croire.

Quelle ne fut pas notre surprise lorsque Franck Morel répondit rapidement, et avec beaucoup d’enthousiasme à notre invitation !

Voici donc la transcription de nos passionnants échanges :

Pouvez-vous présenter succinctement votre parcours pour nos (rares) lecteurs qui ne vous connaissent pas, M. Morel ?

F. Morel : Avant de débuter ma carrière professionnelle j’ai fait un peu politique puisque j’ai été le plus jeune élu de Lyon dans l’équipe de Michel Noir, aux côtés d’un gaulliste social historique René Caille qui m’a notamment donné le goût des questions sociales et donné un sens à tout ce que j’ai fait ensuite.

J’ai ensuite débuté ma carrière au départ comme inspecteur du travail puis en occupant différents postes au sein du ministère du Travail. J’ai intégré des cabinets ministériels ensuite, avec quatre ministres du Travail différents Xavier Bertrand, Brice Hortefeux, Xavier Darcos, Éric Woerth et enfin à Matignon comme conseiller social d’Édouard Philippe. J’ai pu, dans ces cadres, participer à la conception puis accompagner la mise en œuvre d’une quinzaine de réformes.

Ancien membre du Conseil d’orientation pour l’emploi, ancien rapporteur de la commission de Virville sur le code du travail, senior fellow à l’Institut Montaigne,  j’ai également exercé en tant qu’avocat au sein du cabinet Barthélemy, ainsi désormais qu’au sein du cabinet Flichy Grangé, où je suis aujourd’hui associé depuis août 2020.

Est-ce que l’exercice du pouvoir, avec vos différents passages en cabinets, a changé votre manière de penser et de concevoir le droit social ?

F. Morel : Je ne pense pas que cela a changé ma vision du droit social, toutefois, il est certain que j’ai énormément appris. Par exemple, j’ai pu pleinement appréhender le fait que s’il y a une chose qu’il faut particulièrement soigner pour faire accepter et progresser une idée, c’est la méthode.

Ainsi, pour qu’une réforme fonctionne, la méthode est quasiment aussi importante, et peut être même plus importante, que le fond de la réforme. Si vous avez la meilleure idée du monde mais que vous ne soignez pas la méthode, il y a peu de chance pour que cela fonctionne.

Par ailleurs, un autre enseignement est que quand vous conseillez un client, ou un ministre, il ne faut pas simplement lui dire « le Code du travail dit x ou y », vous devez également expliquer comment la règle est bien ou mal appliquée et comprise par les entreprises et les salariés, mais également ce qui n’est pas appliqué, ou contourné, et pourquoi. Il faut trouver une voie de passage concrète prenant en considération la réalité.

Si l’on veut qu’une réforme puisse entrer en vigueur et produire des effets, il faut avoir conscience de ces problèmes, contournement ou blocage, pour les anticiper. Pour qu’une réforme marche, il faut une vraie méthode, car il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton ; le diable se niche dans les détails.

Quelle est cette méthode ?

F. Morel : Avec le recul et l’expérience, je pense que pour une réforme en matière sociale puisse fonctionner, c’est-à-dire qu’elle peut être adoptée, mise en application et « tourner », il faut respecter 4 étapes :

Premièrement, il faut que la réforme soit perçue comme nécessaire, c’est-à-dire qu’il faut que la situation de départ que vous voulez changez soit suffisamment considérée comme insatisfaisante pour qu’on en arrive à la conclusion qu’il est à impérativement indispensable de la changer.  Si dès le début il y a des débats sur le fait qu’il est impératif de réformer, que la situation ne nécessite pas de sortir la grosse artillerie de la réforme, elle a peu de chance de réussir.

Il faut donc absolument soigner le constat, objectiver la situation de départ, montrer que la situation a besoin d’être changée.

Deuxièmement, il est nécessaire de savoir « où l’on va ». C’est-à-dire qu’il faut avoir une idée très claire et très précise de ce que l’on veut faire, car si tel n’est pas le cas, que l’on ne comprend pas trop ce que vous voulez faire, on va vous accuser des pires intentions. C’est un peu ce qui s’est passé sur la réforme des retraites, entre le paramétrique le systémique, on donnait le sentiment de ne pas savoir où on allait, et à l’arrivée la réforme n’a pas été mise en place.

Troisièmement, il est indispensable de pouvoir s’appuyer sur une majorité soudée pour faire face à des complications au moment des débats au Parlement. Un exemple caractéristique de réforme « chemin de croix », à cet égard, que j’ai vécu est celle du travail du dimanche avec la loi du 10 août 2009.

À cette époque, la majorité parlementaire étaient extrêmement divisée sur le sujet ; elle ne l’était pas dans le cadre des clivages classiques opposant la gauche contre la droite ; c’était une opposition Paris contre la province, petite ville contre les grandes villes, à laquelle il faut ajouter des aspects religieux. C’était donc très compliqué d’avoir une majorité et le résultat n’a pas été durable. Une nouvelle loi est intervenue en 2015 après de nouvelles difficultés.

Le quatrième et dernier point, qui est sans doute le plus important, c’est la question de la légitimité. Il est nécessaire que la réforme que vous envisagez de faire soit perçue à tort ou à raison comme étant légitime. Si ce n’est pas le cas, le corps social ou une partie de celui-ci, entreprises, salariés, organisations patronales ou syndicales, juges, la rejettera et entravera son application voire la privera d’effets.

Il y a plusieurs façons de faire percevoir la réforme comme légitime :

  • La première d’entre elles c’est l’application de la loi Larcher qui permet au Gouvernement de s’appuyer sur une règle négociée par les partenaires sociaux, et donc de disposer d’une légitimé très forte d’une règle négociée puis votée par le parlement. Ce fût par exemple le cas de la création de la rupture conventionnelle en 2008.
  • La deuxième c’est la légitimité électorale, c’est-à-dire le fait de présenter le projet de réforme devant nos concitoyens à l’occasion d’élections présidentielles ou législatives. Les citoyens valident le projet en votant. Ce fût par exemple le cas des ordonnances reformant le Code du travail de septembre 2017. Toutefois cette légitimité ne dispense pas de soigner la concertation avec les partenaires sociaux, ce qui a été fait.

Si on fait le bilan des réformes qui ne sont pas passées ou qui ont échoué, en matière sociale, ces dernières années, on peut constater que c’est souvent parce que plusieurs de ces points manquaient à l’appel (le travail du dimanche : la majorité était divisée, la réforme des retraites : on donnait le sentiment de ne pas savoir pas ce que l’on voulait vraiment faire, le CPE et CNE souffraient d’une lacune originelle de légitimité etc).

Que pensez-vous que des objectifs chiffrés ? Sont-ils un piège à éviter quand on veut réformer ?

F. Morel : Oui, cela peut être un piège, et c’est exactement pour cela qu’il n’y avait pas d’objectif chiffré fixé par exemple dans la réforme de l’apprentissage de 2018. le gouvernement n’a pas voulu reproduire les erreurs commises par ses prédécesseurs sous les deux quinquennats précédents qui s’étaient hasardés à cet exercice du chiffrage d’un objectif préalable, in fine bien évidemment non atteint.

L’objectif de la réforme n’était pas simplement d’augmenter le nombre d’apprentis pour cocher une case dans un tableur Excel, mais de changer les mentalités à propos de l’apprentissage, ce qui devait déboucher sur une augmentation du nombre d’apprentis.

Le Gouvernement était convaincu que l’apprentissage est une forme d’organisation de la formation qui est profitable aux apprentis et aux entreprises, ce qui est in fine, une bonne chose pour l’emploi.

La réforme a tellement bien marché qu’aujourd’hui on se heurte à un autre souci, puisque le système s’emballe. Cela doit nous contraindre à nous interroger sur comment mieux utiliser le levier financier, se concentrer sur les dépenses les plus utiles et donc en réduire d’autres.

Quelle est la réforme, à laquelle vous avez participé, dont vous êtes le plus fier ?

F. Morel : Je suis très fier de la réforme de 2008 (la réforme de la représentativité syndicale) qui a donné lieu à la Loi Bertrand du 20 août 2008, parce que d’une part c’est un exemple de réforme très légitime, puisqu’elle s’appuie sur une position commune des partenaires sociaux, et parce que d’autre part, elle a changé une règle qui avait été immuable pendant 60 ans. Elle a structurellement et durablement modifié en bien le dialogue social et fondé en grande partie son essor.

Aujourd’hui, cette réforme est largement rentrée dans le paysage et personne ne songe à remettre en cause les équilibres globaux qu’elle a créés à savoir le mécanisme de représentativité fondé sur l’élection. Cela prouve donc que c’est une bonne réforme qui a fonctionné.

Comment expliquez-vous le fait que malgré le bigbang que la réforme de 2008 a provoqué, il n’y a pas eu de changement parmi les 5 organisations syndicales représentatives (OSR) ?

F. Morel : Le but de cette réforme n’était pas de changer la liste des OSR, mais de faire en sorte de favoriser et de développer la négociation collective en refondant la légitimité des acteurs.

Il aurait été impossible de favoriser le développement de la négociation collective si on était resté dans un cadre normatif d’après-guerre dans lequel les acteurs, qui avaient la possibilité de négocier et de signer un accord d’entreprise, pouvaient ne représenter, dans une entreprise, quasiment personne.

Si la Loi n’a pas abouti à changer la liste des cinq OSR au niveau national et interprofessionnel, elle a conduit à changer l’ordre de cette liste et a radicalement modifié le paysage dans les branches par exemple.

Après trois mesures de l’audience syndicale (2009-2012, 2013-2016 et 2017-2020), on peut constater quand même des tendances de long cours au niveau national : la CFDT monte un peu, la CGT se tasse, la CGC et la CFTC se maintiennent ou monte un tout petit peu.

Néanmoins, si votre question porte sur la pertinence et la légitimité d’avoir cinq OSR au niveau national et interprofessionnel, j’ai envie de rebondir sur la question posée précédemment sur les objectifs chiffrés. Le fait d’avoir cinq OSR, est le fruit de l’histoire, d’une tradition sociale, religieuse et politique.

En revanche je pense qu’il est nécessaire d’accompagner de manière positive les acteurs dans les évolutions qu’ils pourraient souhaiter comme des rapprochements.

Ce n’est pas le rôle de l’État que de formuler des souhaits sur ce sujet, comme le fait qu’il ne faudrait que deux grandes OSR, et recréer la CGT d’un côté et la CFTC de l’autre comme il y a un siècle.

Comme en politique, les évolutions de ce genre, les recompositions ne doivent pas être artificielles, elles doivent répondre à un besoin, et doivent être impulsées par les acteurs. Par exemple, dans le paysage politique quand vous avez eu des évolutions des partis politiques qui ont changé, qui se sont élargies, ce n’est jamais quelque chose qui est venu d’en haut, c’est quelque chose qui est venu soit d’une expérience soit des résultats d’une élection soit d’alliance.

Aujourd’hui, les questions qui se posent au syndicalisme sont des questions beaucoup plus profondes que la question du nombre d’acteurs. Par exemple, je pense qu’il faut remettre sur la table la question, très structurante, du syndicalisme de service.

Cela me fait penser à un déplacement aux Pays-Bas que j’ai effectué il y a quelques années et au cours duquel j’ai rencontré des responsables syndicaux d’une organisation syndicale hollandaise. Ces responsables m’expliquaient qu’ils organisaient des permanences de conseil en carrière pour leurs adhérents. Ce qui peut paraître totalement iconoclaste chez nous est parfaitement naturel pour eux.

Je pense que nous avons besoin de syndicats forts et puissants. À ce titre, je trouve très préoccupante l’évolution que l’on constate depuis quelques années (faible taux de syndicalisation), car cela pourrait conduire à un risque de « Giletjaunisation » du dialogue social ce qui pourrait conduire à des situations de conflits beaucoup moins maîtrisées et plus explosives. Je pense que cette dérive ne profiterait à personne et aboutirait à des situations stériles. Pour éviter cela, je pense qu’il est nécessaire d’avoir des organisations syndicales qui aient de véritables marges de manœuvre, « du grain à moudre ».

À ce titre, je pense que les pouvoirs publics ont un rôle à jouer en donnant aux partenaires sociaux une capacité à changer des situations sur le plan local, notamment. C’est dans cette logique que s’inscrit la Loi de 2008 dont nous avons parlé, mais également les ordonnances de 2017.

Depuis les ordonnances de 2017, on peut faire beaucoup plus de choses par la négociation collective et en particulier dans l’entreprise qu’on ne le pouvait auparavant ; c’est très bien et il faut continuer il y a encore sans doute des choses à faire dans ce sens.  Il faut aussi que les OSR elles-mêmes trouvent les voies et les moyens de « faire envie ».

Dans ce nouveau cadre du dialogue social « au plus près du terrain », quelle est la place des accords nationaux interprofessionnels (ANI) à « l’ancienne » ? Servent-ils encore à quelque chose ? On pense notamment à l’accord sur le télétravail « non normatif non prescriptif », qui s’apparente plus à une charte des bonnes pratiques…

F. Morel : Sur le télétravail j’aurai une réponse assez pragmatique, car il faut replacer l’accord dans son contexte.

Le cadre juridique du télétravail a été modifié en profondeur par les ordonnances de 2017. Cette modification avait notamment assoupli et simplifié le recours au télétravail, ce qui s’est traduit par une explosion bienvenue du télétravail pendant la crise sanitaire. C’est notamment ce qui a permis de basculer rapidement et facilement au 100% télétravail lors du premier confinement.

Ainsi, je pense qu’il n’était pas souhaitable de fixer dans un ANI des règles, des contraintes, qui auraient contribué à rendre le recours au dispositif moins flexible ce qui aurait entravé son développement à un moment ou son recours était nécessaire.

Sur votre question du devenir des ANI, je n’ai absolument pas en dogme l’idée salon laquelle il ne faudrait plus du tout et plus jamais d’ANI. Je pense par exemple à l’ANI sur la santé au travail qui est un très bel exemple d’ANI prescriptif qui a été de fait un accord de «  pré législation ».

À ce titre, je vous fais le pari que dans les années à venir on aura à nouveau des ANI « à l’ancienne » comme vous dites. Je pense que l’on ne doit pas être dogmatique sur ce sujet, dans un sens ou dans un autre.

Je pense d’ailleurs qu’il y a trois types d’ANI :

  • Les ANI « à l’ancienne » qui sont prescriptifs et normatifs et qui peuvent se suffire à eux-mêmes. C’est un ANI qui va édicter des règles et qui va peut-être appeler une extension ou un élargissement, mais qui ne nécessitera pas de disposition législative ou réglementaire pour être applicable. Il n’y en a plus beaucoup, mais ça peut exister.
  • Les ANI dits de « pré législation », c’est-à-dire des ANI qui sont négociés dans le cadre de l’article L1 du Code du travail, et dont les dispositions ne peuvent être appliquées que si une Loi ou un décret leur donne une force obligatoire.
  • Et enfin les ANI de méthodes ou d’orientation, à l’instar de l’ANI sur le télétravail, celui sur les violences au travail ou le stress au travail ; ils n’ont pas vocation à édicter des règles, mais plutôt une méthode, un guide des bonnes pratiques.

Ces trois types d’ANI ont vocation à coexister, et en fonction des thématiques et des contextes les partenaires sociaux s’orienteront plus vers l’un ou l’autre type d’ANI.

Comme on peut déroger aux stipulations des ANI avec un simple accord d’entreprise, pensez-vous vraiment que les partenaires sociaux ont intérêt à négocier des ANI ?

F. Morel : Je pense qu’il s’agit de deux sujets différents, car la primauté de l’accord d’entreprise ne supprime pas le fait qu’un ANI dispose d’un caractère normatif et prescriptif notamment dans les cas où l’entreprise n’a pas d’accord d’entreprise. Dans ce cas, les règles que l’ANI édicte seront applicables.

Ce que l’on appelle « l’inversion de la hiérarchie des normes » issue des ordonnances de 2017 n’a pas vocation à rendre inutile l’ANI, mais de repenser la place de l’accord d’entreprise ainsi que son articulation vis-à-vis des accords de branche.

Sur ce sujet, il est important, je pense de faire un peu d’histoire :

Il faut remonter à la Loi du 4 mai 2004. Celle-ci a repris une position commune du 16 juillet 2001 et organisait le régime de la dérogation aux normes fixées par un accord de branche. Cette Loi prévoyait que, hormis 4 domaines qui relevaient du domaine réservé de la branche, les partenaires sociaux pouvaient soit prévoir explicitement des clauses de verrouillage rendant impossible la dérogation à ses prescriptions par accord d’entreprise soit implicitement prévoir ,en ne prévoyant pas de verrouillage, qu’il était possible de déroger par accord d’entreprise à son contenu.

En 2008, le constat a été fait que les partenaires sociaux avaient privilégiés la négociation de branche en prévoyant beaucoup de clauses de verrouillages, que les entreprises connaissaient peu les règles et utilisaient pu la dérogation même quand elle était possible. Le Gouvernement de l’époque avait donc décidé de changer la logique pour aller vers un système dans lequel ce n’est plus la norme d’en haut qui autorise la norme d’en bas à prévoir des dérogations, mais dans lequel c’est la norme d’en bas qui s’applique indépendamment du contenu de celle d’en haut. La norme d’en haut ne trouvait à s’appliquer qu’en cas de carence de l’accord d’entreprise.

La Loi du 20 aout 2008 opéra donc ce changement de système, mais uniquement sur des thématiques relatives au temps de travail à savoir :

  • Le contingent d’heures supplémentaires,
  • Le repos compensateur de remplacement des heures supplémentaires,
  • L’aménagement du temps de travail sur plus d’une semaine,
  • La convention de forfait,
  • La journée de solidarité,
  • Le compte épargne temps.

Ces domaines de négociation ont considérablement été élargis par la Loi du 8 aout 2016 (Loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels) qui ajoute une quarantaine d’objets de négociation qui, prévus dans un accord d’entreprise, primaient sur les stipulations des accords de branches.

Enfin, les ordonnances de 2017 sont venues parachever cette évolution en généralisant le principe de la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, à l’exception de quelques sujets.

La Loi de 2008 avait donc une cohérence globale puisqu’elle reformait la légitimité des acteurs, en la fondant sur les résultats électoraux dans l’entreprise, tout en posant la première pierre permettant de donner plus de marge de manœuvre aux partenaires sociaux dans l’entreprise, édifice qui a continué à se construire jusqu’en 2017.

De ce fait, à partir du moment où la légitimité des acteurs est fondée sur l’entreprise il ne faut pas s’étonner que l’on aboutisse à un changement du rapport de force pour les acteurs, entre le « sommet » (les confédérations syndicales) et la base (les syndicats dans l’entreprise), car désormais depuis 2008 la légitimité se gagne sur le terrain.

Vous avez récemment rédigé une note avec l’institut Montaigne dans lequel vous proposiez la possibilité de permettre de réserver le bénéfice des accords collectifs aux adhérents des syndicats signataire, pourquoi cette idée ?

F. Morel : À titre liminaire, je me permets de vous reprendre, car il ne s’agit pas de réserver le bénéfice de toutes les stipulations d’un accord aux adhérant des syndicats signataires, mais de permettre aux négociateurs, s’ils le souhaitent, d’insérer une clause dans un accord qui réserverait le bénéfice d’une ou de plusieurs dispositions de l’accord aux seuls adhérents des syndicats signataires de l’accord.

La nuance est importante, car je ne pense pas que ce soit quelque chose à faire de manière obligatoire et uniforme, identique partout. Cela pourrait par exemple s’appliquer sur quelques sujets bien spécifiques, comme la mise en place d’une prévoyance ou d’une prime. Il faut laisser le choix aux négociateurs.

Il serait toutefois indispensable d’accompagner cette évolution d’un mécanisme qui garantit la confidentialité des adhésions en passant par exemple par un tiers de confiance.

Je pense enfin que cette évolution – qui prendrait la forme d’une expérimentation pour des raisons sans doute constitutionnelles- serait potentiellement une brique permettant d’accompagner la transformation du syndicalisme en syndicalisme de service.

Si demain vous étiez aux manettes en tant que Ministre du Travail, quelle serait selon vous LA réforme à faire ?

F. Morel : À mon sens, il y a cinq sujets sur lesquels nous ne sommes pas arrivés au bout du chemin, sur lesquels il y a encore des choses à faire.

Premièrement il faudra mieux allouer les moyens financiers de la formation professionnelle pour faire en sorte qu’ils soient vraiment attribués là où il y en a besoin, faire effet de levier. Cela me semble nécessaire, indispensable pour préparer l’avenir. Vous retrouverez deux propositions d’évolution dans la note évoquée précédemment et dans d’autres notes que je vais publier.

Deuxièmement, je crois beaucoup à la belle idée de participation et on doit pouvoir aller plus loin sur cette question pour augmenter son montant, son champ d’application et progresser dans le fait de mieux associer les salariés à la gestion et aux résultats de l’entreprise, ce qui est profitable à tous. Thibault Lanxade a formulé des propositions extrêmement intéressantes en ce sens.

Troisièmement, je pense qu’il faudrait aller plus loin sur les questions du CDI de chantier. Au moment de l’écriture des ordonnances de septembre 2017, j’avais pas mal poussé le sujet et je regrette que l’on se soit limité au niveau de la branche, je pense qu’il y a encore à faire sur ce sujet d’avenir.

Quatrièmement, il nous faut mieux sécuriser les nouvelles formes de travail. Ce qui a été engagé sur les plateformes de travail indépendant va dans le bon sens avec une régulation par le dialogue social. Il faudra le consolider et le conforter par un dialogue social spécifique et en élargir la portée mais le projet de directive européenne qui pose une présomption de salariat est tellement technocratique et décalé par rapport à cet objectif…

Enfin, le dernier sujet, qui est un peu de mes préoccupations récurrentes, c’est la question du temps de travail. Beaucoup de choses ont déjà été faites sur l’aspect qualitatif – c’est-à-dire l’organisation du temps de travail.

Toutefois il reste encore des choses à faire sur l’aspect quantitatif, car nous sommes dans un pays où les salariés à temps plein sont ceux qui travaillent le moins en Europe et dont la durée du temps de travail est la plus faible sur l’année. Il y a donc une marge pour augmenter cette quantité de temps de travail ce qui est nécessaire et profitera à l’économie. Cela ne se fera pas en changeant quelques lignes dans une loi mais en donnant intérêt à le faire via un écosystème spécifique.

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